Soirée avec vue / Liam & Jordie

Si mes yeux ne me jouaient pas de mauvais tours lors de cette observation silencieuse, l'émotion vivant chez Jordie évolua graduellement vers quelque chose d'autre en même temps que notre conversation. Ce silence suivant ma question ne fut aucunement gênant pour moi, je n'étais que curieux de savoir quelle pouvait la question qui semblait lui brûler la langue. Cependant, l'intensité dans le regard de mon interlocutrice ne faiblit pas un seul instant autant que le mien. Plongé dans ces yeux bleus hypnotique, je restai immobile en attente de la formulation de ce qui semblait la travailler pour ne serait-ce qu'effleurer la surface de ses pensées si denses.

Puis, comme si son souffle faible fut la seule douce musique présente en ses lieux, elle brisa ce silence et la vampire mit en lumière ses pensées. Mon petit sourire s'élargit légèrement à cette question : que gardai-je en mémoire de ce passé commun? La réponse m'était si simple et pourtant si complexe à la fois. Mes doigts quittèrent mon verre en se posant à plat sur la petite table.

- À vrai dire, je crois que je vis toujours un pied dans le passé. Si je me concentre suffisamment, je parviens à me souvenir de tout... du moins de presque tout. Il a toujours ces moments où l'ivresse fut telle que c'est le trou noir encore aujourd'hui lorsque Morgana se lâchait un peu plus et... c'est peut-être mieux ainsi.

Je pris une pause pour laisser les souvenirs me gagner sans les brimer cette fois. Mes yeux vinrent même à se fermer sous la puissance de cette fresque dépeignant mon passé au bras de Morgana. Puis, je relevai les paupières sous une fine lueur de désir et je poursuivis.

- Je me souviens parfaitement du goût dangereusement divin du sang du démon coulant dans ma gorge avide où l'appel brut du sang et de la chair suivait toujours. Je me souviens de la douceur de ces peaux qui s'entremêlent et des effluves de multiples nature embaumant l'air. Ou encore, de ses baisers et de caresses entrecoupés de morsures vives sans retenue. Oui, je me souviens de ces heures où l'assouvissement de mes désirs devint des jours, puis des mois, pour finir en année entière où je vivais au gré des envies que m'insufflait ma partenaire du moment, au point de me perdre moi-même pour les vivre sans inhibition.

Pour ne serait-ce que taire cette petite poussée de désir sanglant, je pris une profonde gorgée de mon verre pour le finir avant de reposer mes yeux sur elle.

- Et toi, comment vis-tu l'épreuve du temps qui ne cesse de courir devant nos yeux? Ta nostalgie te rattrape-t-elle? J'admets que cela m'est difficile et que je repense à époque que j'ai traversé... encore plus avec cette société qui ne s'arrête jamais de courir toujours après ce temps auquel ils n'ont pas d'emprise?

Jamais je n'aurais cru que la barque de cette soirée me ferait traverser autant d'émotions si différentes. La nostalgie avait toujours eu de l'emprise sur moi et encore une fois, elle venait d'embarquer lourdement. Elle m'avait conduit sur des eaux autant douces à mes yeux qu’atrocement agitées par le tumulte du changement. Ma foi me faisait vivre un pied dans le passé en ressentant la présence des dieux et mes yeux m'ancraient dans cette morne et froide réalité de ce monde moderne. Alors, malgré mes années d'expérience, j'avais du mal à garder le cap et ce soir c'était le cas.

Le retour à l'instant présent ne manqua pas de faire souffrir sous tous mes sens sollicités avec brutalité en même temps. Je parvins néanmoins à faire vite l'abstraction de cette incommodité, j'avais l'habitude du chaos. D'un regard, je remarquai l'expression de ma jolie congénère, elle éprouvait de la difficulté et elle fit un signe à l'un des serveurs.

Cependant, ma question lui donna une bouée à laquelle s'accrocher pour s'extirper de ce tintamarre. La réponse de mon ancienne amante ne se fit pas attendre et je ne pus que compatir à cette vague de douloureuse nostalgie. Cette odieuse remise en question sur notre légitimité d'existence qui parsemait notre long chemin, comme je l'avais affronté par le passé. J'étais même venu à supplier les dieux de me préserver d'une récidive lors de mes moments les plus sombres.

Elle fut interrompue par l'arrivée de l'employé avec les consommations. J'assistai à l'adresse de la maîtresse des lieux avec un petit sourire en coin. Cela me rappela mes propres techniques usées pour me sortir de moment fâcheux. Ma cadette m'invita à sortir prendre l'air salin. Mon sourire s'étira en lâchant.

- Oui, ça me va. Je te l'accorde le retour à la réalité a été poignant, mais pour être franc... ce n'est pas aussi fort que le tintement du fer qui se croisent entremêlé par les cris.  

J'influençai mon supérieur pour qu'il accepte la fin de mon quart de travail par l'hypnose et nous sortîmes de l'édifice. Nos pas nous conduisirent sur la berge où les vagues vinrent lécher doucement le sable. Ce son, cet air salin... tout cela apportait calme et sérénité dans mon esprit. Avec les idées claires, je revins sur son mal être qu'elle avait partagé avec moi.    

-  Jordie... je vois parfaitement ce que tu dis tout à l'heure. Je crois que nous devons simplement apprendre à vivre avec ce poids. Au fils des années, l'on remarque certaines choses, telles que toute chose à un coût. Je lâchai un soupir chargé d'émotion pour me soulager d'un inconfort avant de souffler la suite difficile. Celui de l'immortalité est celui-ci, hélas. Je fis un petit sourire compatissant en partageant sa douleur. Alors, si tu as besoin d'être conseillé ou simplement d'en discuter comme ce soir... je serais là pour toi.

Je comprenais parfaitement ce sentiment, car je le vivais encore aujourd'hui. C'était simplement plus impactant si je laissais mon esprit un peu trop vagabonder dans les méandres de mes nombreux souvenirs. Ce fut pour cette raison que je m'efforçais à garder un pied dans le moment présent à chaque fois.

HRP: