Entretien avec un vampire

L’on rêve à l’impossible et l’impossible s’offre à nous. Je crois, sans prétention que cela aurait fait un bon slogan, puisque de toute évidence c’est ce qui fait marcher cette société. Moi, voilà bien longtemps que j’avais cessé de rêver, n’en éprouvant plus le besoin. « Lui » avait tout en un claquement de doigts. J’avais honte sur l’instant d’en être réduit à me dissocier, car incapable d’assumer mes actes ; ce qui semblait me rendre indigne de rêver. Il n’y a pas si longtemps, je me serais contenté de ça sans chercher à m’apitoyer davantage. Mais il semblerait que l’impossible se soit mué en possible et que la Fatalité ait décidé de me lâcher la grappe.

Eva. L’évocation de ce simple prénom m’emplissait d’une joie nouvelle et d’un espoir tout aussi insolite. Bien sûr, elle ignorait encore tout de ma véritable nature, mais pas des sentiments que j’éprouvais à son égard. J’étais incapable de les taire, tout comme je demeurais incapable d’être loin d’elle. Le manque avait révélé bien des choses, autant pour elle que pour moi. Je ne cherchais plus à survivre et les voix ainsi que les images de mes méfaits, perdaient de leur emprise ; me laissant imaginer que peut-être l’amour véritable avait brisé cette malédiction.

J’avais accepté, sans aucune difficulté, de mettre un terme à cette incertitude qui nous empêchait de définir notre relation. Le mot « couple » ne m’effrayait pas à ma grande surprise. Et c’est bien ce que nous étions à présent. Je l’aimais comme jamais je n’avais aimé, mais il subsistait encore une ombre au tableau. Je suis un vampire et de ce fait, je ne peux m’exposer à la lumière du jour. Dès lors, je n’avais eu de cesse de trouver des excuses pour justifier mon absence en journée. Eva demeurait conciliante. Cependant, je la connaissais assez pour savoir qu’elle demeurait incapable de dompter sa curiosité ; une curiosité qui avec le temps, se muera en méfiance et créera de la distance au risque de se perdre.

Voilà donc pourquoi, j’avais accepté, non sans difficulté, de me tourner vers la magie. Mes contacts qui commençaient à gagner en efficacité m’avaient mis sur la piste d’objets mystiques, avant de me faire savoir qu’il était possible de solliciter l’aide d’un régent. Arthur Fitzgerald était mon premier choix et accessoirement, le seul sorcier régent que je connaissais. Cependant, ce n’est pas vers lui que j’avais décidé de me tourner. L’on disait la régente de White Chapel tolérante avec les vampires et efficace de surcroit.

Les premiers contacts ne furent pas directs ; la situation étant tendue en ville, il était préférable de solliciter des messagers avant de prendre le risque de s’exposer. Et après quelques tractations, une date me fut enfin communiquée, ainsi qu’un lien. Je compris après coup qu’il s’agissait de l’endroit où se trouvait le coven.

Et me voilà face à l’édifice. J’avais pris soin de me vêtir élégamment pour ne pas offusquer la régente. Je mentirais (éhontément qui plus est) si je disais ne pas me sentir mal à l’aise. Les sorcières représentaient toujours une menace pour moi et la magie me dégoutait tout autant. Mais je me devais d’essayer pour Eva et cette vie merveilleuse que je voulais lui offrir sans avoir besoin de disparaître pour ne pas trahir ma condition et mettre à mal ma survie.

La nuit demeurait obscure et voilà que la pluie vint se joindre à moi, mettant à mal ma patience. Je devais attendre l’arrivée de la régente ; une arrivée qui tardait à venir et me laissait croire que finalement, ma cause lui importait peu.

 — Qu’est-ce qui m’a pris de croire qu’une sorcière allait accepter de m’aider ?  laissais-je échapper en tournant les talons.

Avec ce qui s'était passé dans les locaux du SLAPD, les leaders étaient prudents, voire même sur le qui-vive. Fort heureusement, à LOS Angeles, les principaux ce connaissaient et avaient détroits liens, par exemple, Lyanna avait pour beau-père le régent du coven de magie rouge, l'une de ses meilleures amies était la vampire qui régnait sur les canines de la ville, et son fiancé, l'ancien régent de Red House, était proche de l'alpha. Certes, chacun avait des intérêts différents pour sa communauté, mais souvent, ils parvenaient à être solidaires. Restait le leader des croques mitaines qu'ils voyaient plus rarement. Lyanna avait du mal avec cette espèce en raison de leur régime alimentaire. Plus encore maintenant qu'elle erait enceinte. Et enfin le régent du coven de magie noire Obscurus, si l'on pouvait el qualifier ainsi, étant donné que son coven était illegal et interdit. Il était évident qu'avec tout ce qui s'était passé, cet illustre anonyme n'était pas le bienvenu dans le cercle, tout comme ses partisans.

Lily avait toujours été proche des vampires. Depuis sa rencontre avec Clayton lors de ses dix-sept ans. Il lui avait sauvé la vie, et c'était lui qui l'avait mordu pour la première fois. Un pacte passé entre eux. La sorcière serait surprise à trouver cette sensation agréable, autant que la saveur de son sang pouvait l'être pour les creatures de la nuit. Il n'était plus à prouver que le sang des sorciers avait, pour les vampires, un goût extrêmement appétissant. Si bien qu'au fil du temps, cette pratique était devenue une sorte de besoin, et le cercle des fréquentations de la jeune sorcière s'était agrandi en nombre de vampires.

Clayton était donc l'un des amis les plus proches de la régente de White Chapel et ce depuis maintenant plus de deux décennies. Pour un vampire, ce n'était pas grand chose mais pour une sorcière destinée à une longévité humaine, c'était énorme, et déjà la moitié de son temps passé sur terre. Récemment, il lui avait parlé de l'une de ses connaissances, un anglais d'à peu près le même âge, qui cherchait par tous les moyens un bijou de jour. Une pratique mal vue depuis des décennies par le cercle sorcier, étant donné que les vampires n'étaient pas forcément des créatures bien vues. Ils faisaient partie de ceux qui tuaient les humains, voire même parfois des sorciers malchanceux. Et chez les sorciers, les traditions avaient leur importance, tout comme la réputation. Malgré ses nombreuses frasques, Lyanna était assez chanceuse pour avoir en conservé une excellente. Il faut dire que son bras droit, avec le temps, était devenu un spécialiste dans l'art de la couvrir. Ils se connaissaient depuis leur jeune adolescence et étaient extrêmement proches. Un soutien sans faille précieux qui allait dans les deux sens. Mais revenons à Clayton. Lily lui avait confectionné un bijou de jour, une bague, bravant les "interdits" des sorciers. Il ne s'agissait pas là d'une demande de son ami, mais bel et bien d'un geste spontané de sa part. A la vérité, elle était persuadée qu'elle allait mourir. Une sombre période de sa vie où rien ne lui permettait de faire face à tout ce qu'elle endurait et qui lui semblait insurmontable, à commencer par la mort de son fils Zephyr. Le poids de la culpabilité était trop lourd et la régente avait touché le fond. Se sentent incapable de remonter et surtout ayant peur d'entraîner avec elle ses proches, elle avait songé au pire. N'ayant plus rien à perdre, elle s'était dit qu'elle allait offrir à son meilleur ami vampire l'opportunité de sortir le jour. Il avait déjà tellement souffert, autant le lui permettre. Fort heureusement, la sorcière fut sauvée.

Clayton lui parla alors d'un vampire qui cherchait à tout prix à pouvoir sortir le jour. Lily rappela à son ami que ce qu'elle avait fait pour lui était exceptionnel. Mais intriguée, la régente accepta de le rencontrer. Ne voulant pas se fatiguer, la petite Charlie étant déjà presque à terme, elle demanda à ce que la rencontre se fasse devant le coven.
Elle était donc restée travailler tard ce soir-là, renvoyant Bradley chez lui. Il n'avait pas besoin de savoir ce qu'elle ferait. Elle le lui dirait le lendemain. Attablée à son bureau, elle s'affairait à chercher comment mettre ses sorciers en sécurité en cas de problème. Le coven était un édifice protégé par un sort. Seuls les sorciers pouvaient entrer, des sorciers blancs ou rouges. Les humains ne pouvait pas le voir, et le sort les éloignait naturellement du lieu, enfin els autres créatures ne pouvaient tout simplement pas y pénétrer. Le coven était situé dans uen ancienne église blanche, un lieu plutôt bien trouvé pour réunir des sorciers de magie blanche.

L'heure du rendez-vous avait sonné mais plongée dans ses pensées et occupations, la belle brune aurait encore été en retard si son familier ne l'avait pas, encore, rappelée à l'ordre. Elle se leva, attrapa l'écrin avec la bague et la pierre précieuse qu'elle enchanterait si elle décidait que ce vampire en valait la peine. Passant devant un miroir, elle répéta le sort de dissimulation qui lui permettait de cacher sa grossesse. Sept mois bien tassés. Après quelques formules latine d'un sort de son cru, aucune creature n'aurait pu dire, en la regardant, qu'elle portait la vie.

- Tu veux venir? demanda-t-elle au gros chat noir.

Tu poses vraiment la question ?

Avec un sourire, elle ébouriffa le pelage de son familier qui s'était perché sur son bureau avant d'enfiler une longue veste blanche par-dessus sa robe de tailleur grise. Le bruit des talons de ses escarpins résonnaient sur son passage dans la nef avant d'atteindre le narthex puis le porche. Les lourdes portes de bois s'ouvrirent sur son passage.

La pluie commençait à tomber. La saison s'y prêtait même si c'était rare à Los Angeles.

- Vous êtes James Lovell ? demanda-t-elle à l'attention de l'homme qu'elle aperçut de dos en train de s'éloigner. Venez sous le porche vous mettre a l'abri. Je sais que la pluie ne vous tuera pas et que vous n'attraperez pas une pneumonie, mais ce sera moins désagréable.

Face à l'église se trouvait un charmant petit jardin, et sur el côté, un petit parking où il ne restait que la voiture de fonction Lyanna, une Lexus cabriolet LC500 couleur blanc nacré.

Le temps était maussade à présent et j’en venais à me demander si cela n’était pas un mauvais présage ; bien que d’ordinaire je n’accorde que peu d’importance à ce genre de futilités. L’appréhension avait-elle eu raison de ma logique au point de me faire adhérer à ce genre de croyance ? Me voilà à pousser un long soupir face à ma propre bêtise. J'en étais réduit à chercher des excuses dans l’attente d’un rendez-vous qui tardait à arriver. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la ponctualité ne faisait certainement pas partie des attributs de cette régente. La pluie, quant à elle, ne se formalisa point de ma présence et se mit à tomber mettant à mal ma patience. C’en était trop pour moi, je ne pouvais me résoudre à patienter davantage. C’est donc le cœur lourd, que je tournais les talons, prêt à m’éloigner. J’en venais à me dire que je n’avais peut-être pas le droit à cette chance et que je devais dès lors me contenter de vivre la nuit. Par conséquent, j’allais devoir redoubler d’inventivité pour trouver des excuses justifiant mon absence auprès d’Eva. Cela voudrait dire lui mentir à nouveau à mon grand dam.

Je quittais donc le trottoir sans m’offusquer de voir mon costume hors de prix souillé par la pluie. Et alors que je m’éloignais progressivement, le bruit d’une paire de talons claquant le sol m’arrêta net dans ma progression. Puis voilà que les lourdes et imposantes portes en bois s’ouvrirent, laissant paraitre une femme pourvue d’une longue veste blanche. La prestance qui émanait de cette personne ne laissait aucun doute quant au fait de sa fonction.

— Je suis bien James Lovell !  lâchais-je en faisant demi-tour pour me rapprocher. Malgré le manque de ponctualité de la sorcière et mon agacement, je tâchais de ne rien laisser paraitre tout en demeurant courtois à son égard. — Je vous remercie de bien vouloir m’octroyer une audience malgré l’heure tardive.  Je consentis dès lors à venir sous le porche pour m’y abriter.  — Effectivement, il est peu probable que j’attrape quoique ce soit de mortel. Mais je ne peux en dire autant de mon costume. Je crois que la perméabilité lui fait défaut. 

Je consentis donc à suivre la sorcière tout en observant les lieux que je trouvais fascinants malgré leur nature magique. — Je vais être franc avec vous, je ne suis que très peu à l’aise avec la magie et plus encore les sorcières.  Je me devais d’être honnête, ce que je m’employais à faire dès lors. — Mais rassurez-vous, je ne suis pas une menace. 

Lyanna n'avait qué rarement été ponctuelle, même quand elle faisait un effort. Son bras droit n'avait de cesse de la sermonner à ce sujet, surtout lorsqu'ils avaient des réunions officielles. Ils se complétaient bien. Ce soir ne dérogeait pas à la règle, c'était ainsi.
À présent sous le porche du quartier général de son coven, la régente regardait s'approcher son rendez-vous qu'elle avait invité à se mettre à l'abri de la pluie. Ruffus, son familier, observait la scène, assis dans l'ombre sur l'un des bancs de pierre se trouvant contre le mur latéral, perpendiculaire à l'axe de la porte.

L'homme confirma son identité et Lily lui fit un signe de tête quand il la remercia pour l'audience qu'elle lui accordait. Lorsqu'il parla de son beau costume ruiné par la pluie, Lyanna s'approcha, non sans remarquer que ce vampire etiat extremen séduisant. Nul doute que si Karl n'était pas revenu dans sa vie en lui faisant promettre d'abandonner ses frasques, elle aurait fait des avances à ce James Lovell.

- Vous permettez ? demanda-t-elle avec une voix douce.

Elle approcha ses mains des épaules du vampire, sans le toucher, et prononça quelques paroles latine ms. Une faible lumière blanche s'échappa de ses mains et aussitôt, les vêtements du britannique furent sec.

- Venez vous asseoir, propose-t-elle en reculant d'un pas.

Pour sa part, la sorcière en avait besoin. Il se faisait tard, la journée de travail avait été longue et la petite Charlie commençait à peser son poids et être demandante en énergie. Lily s'assit sans quitter des yeux son interlocuteur. Elle ne pouvait l'inviter à l'intérieur, le sort qui protégeait l'édifice empêchait les créatures telles que les vampires à y pénètre. Seul le porche n'était pas "consacré" et permettait à n'porte qui d'y venir.

- Ah oui ? Et pourquoi cela ? Que vous ont fait les sorcières ?

La regente ne put retenir un petit rire quand le vampire affirma ne pas être une menace.

- Je n'ai pas peur de vous, ni d'aucun vampire, monsieur Lovell. De plus, si vous étiez une menace, mon ami ne vous aurait pas permis de me rencontrer.

Sans compter qu'elle était assez puissante pour se défendre, même fatiguée. Et elle était à son coven, elle se sentait protégée.

- J'aimerais beaucoup que vous me parliez de vous et que vous m'expliquiez pourquoi un vampire qui n'est pas à l'aise avec les sorcières et la magie, demande l'aide d'une sorcière ?

Lyanna attendait de l'honnêteté et de la franchise de la part de son interlocuteur. Elle savait ce que serait l'objet de sa demande, et c'était beaucoup pour une sorcière puisque la pratique était, non pas interdite, mais très mal vue. Aussi devait elle s'assurer que, d'une part, personne ne soit au courant, et d'autre part, de ce qu'il comptait faire avec ce cadeau d'une valeur inestimable pour un vampire.

J’étais et je demeure très à cheval sur la ponctualité. Mes parents m’avaient ainsi éduqué. Pour eux, c’était une question de respect bien plus que de la convenance. Et voir qu’une personne détentrice d’autant de responsabilités, n’était pas à même de faire preuve d’une once de ponctualité, me fit douter ; l’espace d’un instant, quant au fait de ma présence en ces lieux occultes. Mais je devais le faire pour Eva. Elle méritait que je passe outre mon aversion pour les sorcières. Et à bien y réfléchir, c’était bien peu de choses en comparaison des sentiments qui m’animent. Oui, j’étais prêt à tout pour cette femme et ma présence en ces lieux, l’attestait.

Lorsqu’enfin l'on daigna m’accueillir, je pris sur moi pour demeurer poli et un tant soit peu gentleman ; en digne Britannique que je suis. Je me permis même une petite réflexion sur mon costume probablement fichu par la pluie. Et à peine ai-je achevé ma complainte vestimentaire, que la sorcière se rapprocha de moi, ce qui me mit légèrement mal à l’aise ; plus encore lorsqu’elle usa de sa magie sur ma personne. Mon costume fut aussitôt asséché et sans doute sauvé. Je n’en demeurais pas moins sur la réserve et peut-être un peu soucieux. Mais il fallait m’asseoir à présent tout en cherchant mes mots pour justifier le fait que je n’étais pas à l’aise avec la magie, et encore moins avec les sorcières la pratiquant. Devais-je lui dire toute la vérité quant au fait de mon aversion pour les gens comme elle ? À nouveau, je songeais à Eva et au bonheur de pouvoir partager plus de temps avec elle.

« — C’est une longue histoire… » commençais-je en lui faisait savoir que je n’étais toutefois pas une menace pour elle ; ce qui la fit rire et me mis un peu plus à l’aise je l’avoue. « — Eh bien je suis ravi que la régente de White Chapel n’ait peur d’aucun vampire, encore moins de celui en présence. » Pour une sorcière, je la trouvais sympathique et à l’écoute, ce qui me surprit, moi qui avais jusqu’alors une bien piètre image de ces personnes.

« — Eh bien parler de moi n’est pas un exercice aisé tant j’ai accompli de bien mauvaises choses. Il y a plus de deux siècles, ma famille a été décimée par des familles rivales de Londres. J’ai moi-même perdu la vie et mon grand amour. Puis un vampire m’a transformé. Dès lors, je suis devenu un être avide de sang et de vengeance, jamais repu. Pendant longtemps, j’ai tué. Je n’avais qu’une obsession, faire disparaitre les familles qui ont contribué à détruire la mienne. Ma quête était folle, mais j’étais conscient de ce que je faisais. J’ai décimé, détruit, brisé, torturé. L’on m’appelait Bloody Lord. À une époque, j’en étais fier, mais plus maintenant me semblerait-il. Puis un jour, une sorcière m’a piégé avec tout un coven. Elle était l’une des descendantes de mon plus grand rival. Elle m’a fait enfermer dans un cercueil ensorcelé tout en faisant en sorte que j’entende les voix de mes victimes et que je vois leurs visages constamment. Mon calvaire a duré plus de huit décennies avant que l’on me repêche. J’ai tué deux de mes sauveurs hypothétiques, car j’eusse été incapable de me contrôler après tant d'années sans être nourri. » Je marquais un silence, alourdi par la culpabilité de mon récit avant de m’armer de courage et de reprendre.

« — Puis je l’ai rencontré. Elle porte le doux prénom d’Eva. Elle ressemble trait pour trait à mon amour perdu, mais elle est à bien des égards différente. Cependant, je ne l’aime que plus encore. Mais elle est mortelle et ignore tout de notre monde surnaturel et de ma véritable nature. Je ne peux donc être à ses côtés qu’à la nuit tombée. Je voudrais avoir plus de temps avec elle, faire des choses que les couples normaux font le jour. Et c’est pour ça que je vous sollicite. Permettez-moi d’être avec elle quotidiennement. Je suis prêt à vous implorer si besoin. »

Lyanna ne se rendait pas compte que son manque de ponctualité pouvait irriter ses interlocuteurs, et ce malgré les nombreuses remontrances, depuis des années, de son meilleur ami et bras droit ainsi que de son familier qui faisaient souvent office tous deux de réveils vivants. Rien à faire, même lorsqu'elle faisait un effort, les circonstances faisaient qu'elle était à la bourre quand même.
Ce soir n'avait pas dérogé à la règle. Alors elle pouvait bien sauver le costard de ce séduisant vampire pour se faire pardonner. Néanmoins, avant d'accéder à une requête aussi prenante, elle voulait être sûre de la personne à qui elle parlait. Il prétendait que l'histoire était longue ?

-J'ai tout mon temps. Entendu que ça ne prendrait pas plus de deux mois, ajouta-t-elle avec un petit sourire.

Peut-être ne comprendrait-il pas l'allusion, étant donné que la grossesse bien avancée était dissimulée visuellement par un sort. La régente écouta avec attention l'histoire du vampire. Ruffus n'en perdait pas une miette et bondit au sol pour se rapprocher de la sorcière.

Ce type avoue éhontément être un tueur de on se tire. Rentre dans la chapelle tout de suite.

Calme-toi. Je te signale que Clayton aussi... Et regarde aujourd'hui. Tout le monde a droit à une seconde chance. Au moins il est sincère.

Lily fut néanmoins touchée d'apprendre que la demande était motivée par l'amour. Cette remarque la fit sourire avec tendresse. Elle comprenait ce que vivait James Lovell. Si elle avait vu sa famille se faire décimer M, sans doute quelel aussi aurait été en proie à un désir irrémédiable de vengeance. Et perdre Karl l'aurait rendue folle. Et comme James, pour son sorcier, elle serait prête à tout.

- Je vois. Vous voudriez passer le temps de sa vie humaine à ses côtés. Cependant, êtes-vous conscient du fait qu'il est interdit qu'elle connaisse votre véritable nature ? Qu'adviendra-t-il quand elle s'apercevra que vous ne vieillissez pas ? Quelles mesures prendrez-vous ?

Sa dernière remarque fit sourire de nouveau la sorcière.

- Je ne vous demanderai pas de m'implorer, rassurez-vous.

Si de prime abord je n’étais pas à l’aise, cette jeune femme ; bien que peu ponctuelle, était parvenue à me délester de l’appréhension qui jamais ne m’avait quitté durant tout le trajet. Il est vrai que je n’avais eu de cesse de me poser des questions, me demandant si c’était une bonne idée de me tourner vers une sorcière pour demander de l’aide, qui plus est la régente d’un coven. Avais-je d’autres alternatives ? Non, sinon quoi je n’aurais point trainé ma carcasse vampirique jusqu’ici. Toujours est-il que je continuais à laisser mon esprit s’alourdir de diverses problématiques. Je n’avais pas le luxe de laisser mon esprit vagabonder alors qu’il était question de mon avenir avec Eva. Je devais donc me reprendre et tâchais d’être le plus convaincant possible afin de séduire mon auditoire et avoir gain de cause.

« — Et bien si le temps ne vous fait pas défaut, je vais certainement pouvoir vous raconter mon histoire. N’ayez crainte, cela ne prendre pas deux moins, un tout au plus », tentais-je avec humour. Je n’avais pas encore tous les codes en la matière, mais je tâchais d’apprendre vite. Et à en juger par le sourire de la jeune femme, mon trait d’humour était apprécié. Mais il me fallait dès lors me lancer. Ce qui m'amenait à me demander si je devais édulcorer certains évènements au risque de passer pour un monstre. La tentation était grande, mais ma perfidie, si elle venait à être découverte, pourrait se retourner contre moi. Mon histoire, aussi violente soit-elle, devait être narré dans le détail, sans omettre quoique ce soit.

Le monologue fut difficile à faire entendre, autant que le fait de se replonger dans mon passé. Cependant, l’on ne pourra me reprocher d’avoir été honnête ; sauf si désormais cette qualité est un défaut. Malgré tout, le passage où je mettais en exergue la présence d’Eva me permit d’emplir mon cœur de légèreté, avant de me rappeler ce pour quoi j’étais ici. Un chat sortit alors des ténèbres et m’observa avec animosité. Se pourrait-il que cette vile créature soit le familier de la régente et qu’ils communiquent à mon insu ?

Elle souriait avec sincérité alors que le silence mettait à mal mes certitudes. De toute évidence, l’animosité du félin n’était pas contagieuse. Étais-je donc parvenu à convaincre la sorcière malgré mon passé sanguinaire ? « — J’ai conscience que je ne suis point le candidat idéal pour un tel présent », commençais-je avant qu’elle ne me mette face à une réalité que je n’avais pas anticipée ; à savoir le temps et l’emprise qu’il n’aurait point sur ma personne, contrairement à Eva.

« — Je sais qu’il est interdit pour nous de communiquer notre véritable nature aux humains. On me l’a assez répété, je puis vous l’assurer. Mais je vais être honnête avec vous, je n’ai pas anticipé toutes ces réflexions. Moi je veux juste passer du temps avec elle, vivre au jour le jour tout simplement. J’aviserai plus tard. » J’étais quelque peu désemparé par cette perspective et je m’en voulais de ne pas y avoir songé. Évidemment qu’Eva allait vieillir tandis que je continuerai à me complaire dans ma jeunesse éternelle.

« — Si vous ne me demander pas de vous implorer, j’en déduis que vous acceptez de m’aider ? »

James faisait preuve d'humour et cela plut à Lyanna. Cependant, aussi sympathique qu'il lui paraissait, elle voulait savoir à qui elle avait vraiment à faire. Et le vampire avait donc conté son histoire. Une histoire à glacer le sang. Il n'avait pas un passé facile. Le fait qu'il ait vu pourri sa famille et sa bien-aimée touchait Lily, d'autant qu'avec la grossesse elle était particulièrement sensible. Néanmoins le fait qu'il ait aussi été un boucher assoiffé de sang attisait ses réticence, bien qu'elle pouvait parfaitement comprendre ce qui l'avait amené à perdre le contrôle.

- Vôtre histoire est en effet fortement teintée d'hémoglobine. Cela dit, qui suis-je pour vous juger ? Je ne veux pas être l'arbitre de votre passé, néanmoins l'objet de votre demande va influencer le présent et l'avenir. Comprenez que si je dois encore une fois bafouer les convenances de mon ordre, je veux être absolument certaine que je ne vous offre pas la possibilité de recommencer. Vous me semblez bien sous tous rapports aujourd'hui, et je suis touchée que votre motivation soit l'amour de cette jeune femme, cependant il faut aussi anticiper l'avenir, comprenez-vous ?

Ruffus se méfiait, sa sorcière le comprenait, il cherchait simplement à la protéger.

- Je préférerais que vous avisiez dès maintenant, que vous sachiez quoi répondre à ses questions, car des questions, elle en aura forcément. Vous êtes amoureux, donc aveuglé par ce sentiment merveilleux, l'objectivité vous fait alors défaut, c'est normal. Je ne veux pas être indirectement responsable de la trahison du secret qui unit tout le monde surnaturel. Ma famille et mon coven aussi pourraient en pâtir, et j'ai avant tout un devoir de protection des miens.

Ce charmant monsieur Lovell semblait plutôt optimiste quant au fait que Lyanna allait l'aider, cela la fit sourire de nouveau.

- Je n'ai pas dit cela, et je n'ai pas dit que si j'acceptais je ne vous demanderais rien. Cependant je veux me donner le temps de la réflexion, et à vous aussi. J'aimerais vous revoir et que, à ce moment-là, vous me disiez quelles seront les mesures que vous prendrez lorsque votre charmante Eva commencera à poser des questions. Vous n'aurez qu'à venir ici à la même heure quand vous serez prêt, vous connaissez le chemin. Qu'en pensez-vous ?

La regente se leva pour lui faire face. Sa décision était prise, elle attendrait de savoir ce qu'il ferait.

Raconter mon histoire n’était pas aisée, car cela m’obligeait à mettre en exergue ce qu’il y avait de pire en moi. Je devais également me rappeler au souvenir de cette nuit rouge au cours de laquelle j’avais tout perdu. J’en arrivais à me dire, presque naïvement, que parfois j’aimerai oublier ce pan de mon histoire. Et en allant plus loin dans l’autoflagellation, il m’arrive de penser au fait qu’il aurait été préférable que personne ne me retrouve dans ce cercueil de fortune. Je sais, cette pensée est égoïste et indigne de l’amour que me porte Eva. Encore heureux qu’elle n’assiste pas à tout ça. Je me sentais pathétique et ne compris qu’après coup pourquoi cette désagréable sensation était en train de m’envahir à présent. Tout venait de mon récit, de cette histoire « fortement teintée d’hémoglobine » comme disait la sorcière. Et il est vrai qu’à bien y réfléchir, je ressentais toujours ce sentiment dégradant à chaque fois que je narrais mon histoire. Fort heureusement, je ne me prêtais pas souvent au jeu de la narration ; sinon quoi il m’aurait fallu consulter ce qu’ils appellent un psy.

« — Mon passé est ce qu’il est, mais j’aimerai tant pouvoir m’en défaire et ainsi me focaliser sur le présent. » Même si je sentais la jeune femme sensible à ma cause, le poids de la responsabilité lui incombait la modération et plus encore la certitude de ne pas faire une erreur qui pourrait mettre à mal bien des choses, à commencer par la sécurité des siens.

« — Comment pourrais-je anticiper l’avenir en sachant que le sien sera irrémédiablement plus court que le mien ? » Mon regard se porta aussitôt sur le félin, qui, de toute évidence, se méfiait de moi comme de la peste. « — J’ai conscience que je vous en demande beaucoup et qu’en de telles circonstances vous êtes en droit d’avoir des certitudes. Oui, je suis amoureux de cette femme et sûrement aveuglé par ce merveilleux sentiment comme vous le dites. » Je me devais de lui donner raison pour ne plus susciter de méfiance. « — Il n’y aura pas de trahison. Le monde surnaturel pourra dormir sur ses deux oreilles. » Je tâchais de faire montre de la plus grande conviction qui soit ; mais au fond de moi, je demeurais incapable de savoir si je pourrais continuer à mentir à Eva.

« — Je n’ai pas besoin de réflexion. Être séparé d’elle durant autant d’heures est un supplice. Je suis prêt à tout pour que ça fonctionne, même à m’en remettre à votre magie. S’il me faut prendre des potions pour vieillir ou du moins en donner l’illusion, je le ferai. Madame, je ne veux pas perdre une minute de plus. » Bien qu’elle se soit levée et que sa décision soit prise, je ne pus m’empêcher de continuer. « — Je suis même prêt à… » Le simple fait d’y penser engendra un semblant de douleur dans ce cœur qui ne battait presque plus depuis si longtemps. « — Je l’hypnotiserai si elle pose des questions. » Chose que je m’étais interdite de peur de trahir ses sentiments et le lien qui nous unissait.

« — Je suis prêt à faire ça alors que je m’y refusais. N’est-ce pas là une preuve suffisante ? »

Aider son meilleur ami vampire à sortir le jour et l'avoir fait en pensant être morte le lendemain erair une chose mais faire de même avec un vampire inconnu jusqu'alors et dont le passé était sanguinaire, en était une autre. Cependant, la régente n'était pas insensible aux motivations de James Lovell. Un amour quasiment impossible ou du moins soumis à bien des contraintes, elle connaissait, et fort bien. Néanmoins, la nature du lord ou du moins ce dont il fut capable par le passé pesait dans la balance et Lyanna ne pouvait se permettre ne moindre doute. Aussi lui propose-t-elle un marché : revenir une autre fois avec un plan d'action concernant sa chère et tendre au cas où elle poserait des questions qui mettrait en péril le secret du surnaturel.

À la vérité, Lily le trouvait touchant, contrairement à Ruffus qui continuait à braquet ses iris azurs sur le vampire comme s'il s'était agi de mitraillettes prêtes à faire feu sur leur cible.

Tu te ramollis, ne te laisse pas embobiner.

La régente s'était levée mais Mr Lovell continuait d'argumenter. La belle brune haussa un sourcil avant de le regarder dans les yeux.

- Pensez-vous qu'il soit possible de négocier avec moi, Mr Lovell? répondit-elle calmement. Je veux que vous réfléchissiez sérieusement, et non pas que vous me donniez une réponse à chaud guidée par l'envie d'obtenir ce que vous voulez. Revenez dans trois jours si vous êtes prêt à mettre en application ce que vous prétendez au cas où l'élue de votre cœur se mette à avoir des soupçons. Je vous préviens, j'utiliserai un sort sur vous qui vous contraindra à respecter votre promesse. Et il y aura un prix à ce pacte. Mais il ne devrait pas vous déplaire.

Elle esquissa un sourire.

- Même heure, même endroit. Bonne soirée Mr Lovell.

Elle tourna les talons dans le but de regagner sa voiture. Ruffus toisa la créature nocturne une dernière fois avant de sauter du banc en pierre et rejoindre en courant de le cabriolet et s'installer à l'avant.

Trois jours plus tard.

La journée avait été plutôt calme, ce qui était rare. Les sorciers de White Chapel étaient en effervescence afin de préparer l'intégration d'un nouveau venu que Bradley avait recruté. Par les temps qui couraient, mieux valait rejoindre le coven de sa magie pour un sorcier que de demeurer seul.

Lily avait préparé la chevalière pour le vampire. Il ne restait qu'à poser le sort dessus. Un sort tacitement interdit hein que cette mention ne soit officiellement écrite nulle part dans les lois des sorciers. Cependant il était de notoriété publique que cette pratique ne se faisait plus depuis es générations. La régente n'avait même pas mentionné à son bras droit qu'elle s'apprêtait à réitérer l'acte. Il l'aurait sans doute sermonnée et empêchée d'agir.

La nuit était tombée depuis une heure et la chapelle était vide depuis longtemps. Lily traversa la nefen direction des imposantes portes de bois qui s'ouvrirent sur son passage. Elle était quasiment sûre d'y rrohver le vampire qui ne pouvait pas entrer dans le coven, celui-ci étant protégé par un sort ancestral qui empêchait les creatures autres que les sorciers d'y pénétrer.

Être ici, en compagnie d’une sorcière, à devoir prêcher pour ma paroisse ; si l’on peut, dire était incommodant comme situation. Mais avais-je seulement le choix ? Pouvais-je prétendre à d’autres alternatives pour offrir un tant soit peu de normalité à Eva ? Non, évidemment sinon quoi je ne serais pas ici à chercher l’approbation d’une sorcière, aussi sympathique soit-elle. Je voyais bien qu’elle n’était pas insensible à ma situation, malgré mes crimes passés. Mais je ne pouvais nier que mon passif avait un poids considérable dans la balance. La charmante demoiselle mettait en jeu sa responsabilité et sûrement une part de son prestige. Et si d’infortune elle refusait ma requête, je ne pourrais me résoudre à lui en vouloir. Cependant, je ne m’interdisais pas de penser que mon honnêteté et la situation pouvaient aussi jouer en ma faveur et inciter cette régente à me donner gain de cause.

Malheureusement pour ma petite personne, j’étais confronté à une personne prudente à bien des égards et pas encline à me donner trop rapidement ce que je voulais. J’allais devoir faire des concessions et, plus encore, devoir réfléchir davantage. « Foutaise ! » Je ne pouvais toutefois perdre la face. Je me contentais donc d’amoindrir ma fougue et d’acquiescer.

« — Bien, je plierai à vos convenances. » Même si je ne supportais que très mal le fait d’être à nouveau soumis à un sort. « — Je dois vous prévenir que ce n’est pas la première fois qu’une sorcière me lance un sort. Comprenez-donc que j’éprouve beaucoup de difficulté à me voir à nouveau confronté à de telles pratiques. Puis-je connaître le prix de ce pacte ? » Mais elle ne m’en dit rien et se contenta de me convier en ces lieux à la même heure, dans trois jours.

« — J’en prends note. Merci à vous de m’avoir reçu. »

Ainsi, je l’ai vis s’éloigner, sentant peser sur moi le regard de son chat avant que ce dernier ne consente à disparaître. Je devais en faire autant pour regagner ma demeure, sous une pluie battante. Car de toute évidence, ce soir les éléments ne semblaient pas enclins à faire montre de tolérance à mon encontre. Était-ce un mauvais présage ? Je l’ignore, mais je n’en demeurais pas moins accaparé par tout ce que la régente m’avait dit et par le fait que j’ai laissé entendre que si d’infortune Eva posait trop de questions, je devrais l’hypnotiser. Cela m’obligerait à revenir sur ce que je m’étais interdit de faire en sa compagnie. Cette pensée fit soudainement émerger un flot d’incertitude qui, je le crois, mettait à mal ce beau projet.

…

Lorsque vous êtes immortel, le temps, bien qu’il ne vous fasse pas défaut, n’est à mon sens pas le meilleur des alliés. Je ne l’avais pas vu passer, perdu dans mes réflexions à peser le pour et le contre. C’est une âpre bataille qui prenait vie dans un coin de ma tête, bien que la plupart de mes pensées soient totalement dédiées à Eva. Être séparé d’elle était semblable à la torture que l’on m’avait infligée en m’enfermant dans ce cercueil avant de le jeter en pleine mer. J’avais l’impression de ne partager que bien peu de choses avec elle ; la nuit ayant le même effet sur elle que le jour pour moi.

J’avais pris ma décision, dès lors j’étais prêt à assumer toutes les conséquences pourvu que je sois avec Eva de façon permanente. J’étais même prêt à accepter de subir à nouveau un sort sur ma personne. Était-ce si important finalement ?
C’est donc pourvu d’une grande motivation et bien décidé à obtenir ce que je convoitais depuis des jours, que je regagnais l’endroit où se tenait le coven de White Chapel. J’attendais donc patiemment que l’on vienne m’ouvrir pour que je puisse entrer et enfin, je l’espère, obtenir l’aide de la régente.

Lyanna se doutait que le vampire serait de retour passés les trois jours de réflexion qu'elle avait exigé de lui. Elle avait gardé en tête ses dires.il s'était vu jeter un sort par des sorcières et s'en voyait quelque peu marqué. Cela se comprenait d'une part, et d'autre part s'il acceptait, cela n'en démontrait que davantage sa motivation. Néanmoins, Lily n'en oubliait pas ce qu'il avait pu commettre par le passé. Sans pour autant juger, puisque comme elle le lui avait dit, ce n'était pas son rôle d'émettre un quelconque jugement sur le passé, cependant elle voulait aussi garantir l'avenir.

Si encore un an auparavant elle aurait ri de cette phrase, aujourd'hui elle concevait que l'amour était la plus belle source de motivation pour changer. James Lovell semblait à présent bien sous tous rapports, mais il persistait le souci du secret du surnaturel. La régente se devait d'être responsable, déjà qu'elle s'apprêtait encore une fois à renier les convenances de l'ordre des sorciers...

Comme tous les soirs, White Chapel avait été déserté, plus encore lorsqu'il s'agissait d'un vendredi. Tout un chacun avait des projets pour le week-end. Lyanna elle-même espérait passer un peu de temps avec son fiancé, d'autant que, son ventre rebondi annonçait l'arrivée proche de leur fille. Ils avaient encore quelques semaines devant eux, mais on ne savait jamais.

L'heure du rendez-vous avait sonné. Lily prit avec elle le bijou, pas encore ensorcelé qu'elle déposa dans son sac et, Ruffus sur les talons, elle traversa la grande chapelle en direction de la porte. Tout en marchent, elle prononça la formule du sort d'illusion pour dissimuler à la vue d'autrui sa grossesse. Lorsqu'elle ouvrit la porte, elle constata que le Britannique était là.

- Bonsoir Mr Lovell. Vous m'excuserez, je ne peux vous inviter à entrer. Le bâtiment est protégé par un sort très ancien qui empêche tout autre creature qu'un sorcier à y entrer.

Une fois le familier sorti, elle referma la porte et vint s'asseoir sur le banc de pierre. Cette fois, il ne pleuvait pas.

- Avez-vous réfléchi ? Que pouvez-vous me dire ?

Elle espérait qu'il serait coopératif. Elle ne voulait pas lui refuser sa requête mais elle espérait qu'il comprenne les enjeux et qu'il n'était pas possible de s'y soustraire.

J’avais retourné le problème dans ma tête, un nombre de fois incalculable de fois. Devais-je ne pas tenir ma promesse et prendre le risque ; dans un avenir proche, de révéler ma véritable nature à Eva ? Cependant, si je reste discret, il est fort probable que ma belle humaine ne remarque rien. À cela s’ajoutait la possibilité de l’hypnotiser, même si cette perspective ne m’enchantait guère. Mais si c’était ça le prix à payer pour être avec elle, c’était bien peu de choses comparées à ce qu’il m’avait fallu endurer jusqu’alors.

J’avais beau refaire les scénarii à ma disposition, j’en arrivais toujours au même point. Quoiqu’il arrive, je devais convaincre la régente qui était loin d’être assez ingénue pour se laisser berner sans un engagement fort de ma part. Je devais le faire pour Eva et tant pis si j’étais encore une fois soumis à un sortilège. Ainsi pourvu de cette nouvelle conviction, je délaissais mes appartements pour partir à la conquête d’une vie nouvelle avec Eva. Dès lors, il me fallait regagner le quartier où se trouvait White Chapel. Et cette fois, pour m’éviter la moindre déconvenue vestimentaire, j’avais opté pour la plus basique des tenues. Je pourrais, donc, me fondre plus facilement dans la foule sans m’offusquer d’être dépourvu de la moindre élégance.

Je pianotais nerveusement dans le vide. Si d’ordinaire je n’étais pas du genre à douter, voilà qu’à présent j’en étais réduit à me demander si j’étais digne de ce présent. Étais-je en train d’anticiper notre échange futur avec la régente ? Et si d’infortune elle se dérobait, comment allais-je le prendre ? Me voilà à nouveau en proie au doute, mais envers ma personne et mes agissements passés. J’avais encore tant à accomplir pour me racheter ; assez pour en venir à me demander si mon immortalité allait suffire. Pour l’heure, j’en étais réduit à attendre l’arrivée de la régente.

Le bruit de ses talons martelant le sol me sortit de mes pensées, m’obligeant à me redresser pour lui faire face lorsqu’enfin, elle consentirait à apparaître, ce qu’elle fit peu de temps après.

« — Madame la régente ! » J’émis un léger signe de tête qui se voulait respectueux selon la convenance. « — Ne vous excusez point d’avoir sécuriser votre coven. J’imagine que ce sont des mesures de rigueur plus encore avec tout ce qui se passe en ville ces derniers temps. » Mais je n’étais certainement pas ici pour parler de l’actualité de la ville et encore moins du trouble qui y régnait depuis l’avènement d’un autre coven.

Le familier sortit à son tour, toujours le regard braqué sur moi. Il ne m’aimait pas, mais je n’en avais cure du ressenti d’un animal. La sorcière vint dès lors prendre place sur le banc de pierre, sec ce soir. J’en fis de même en prenant une grande inspiration avant de me lancer.

« — Je suis prêt à garder le secret de notre existence quitte à devoir hypnotiser la femme que j’aime pour la préserver. Et je suis également prêt à subir le sort que vous voulez m’imposer pour que je tienne parole. Pour ainsi dire, je suis prêt à bien des choses pour qu’enfin, vous acceptiez de m’aider. Je ne saurais quoi dire de plus pour vous convaincre. Juste que j’aime cette humaine comme je n’ai jamais aimé. Pour elle, je veux devenir meilleur. Je sais que malheureusement, notre histoire sera éphémère. Cependant, je veux vivre chaque minute qui m’aient offerte avec elle. Alors s’il vous plaît, aidez-moi ! »

 

Lyanna avait été touché par l'apparente sincérité du lord concernant son amour pour cette humaine prénommée Eva, et son ardent désir d'être en mesure de sortir le jour pour profiter de chaque instant auprès d'elle. Néanmoins, elle ne prenait pas à la légère l'acte de création de ce bijou ensorcelé qui annihilerait la malédiction du soleil dont étaient victimes les vampires et qui avait pour vocation de rétablir un équilibre, les vampires étant des creatures extrêmement puissantes. Il était de notoriété publique chez les sorciers que céder à une telle demande était très mal vu, et au vu de sa position, la régente ne voulait pas avoir mauvaise réputation. Cependant, James Lovell semblait assez intelligent pour comprendre ce qu'était un secret, d'autant qu'elle lui avait rappelé l'importance de continuer à conserver celui du surnaturel pour le bien de toutes eos creatures.

Le britannique avait honoré le rendez-vous et se trouvait bel et bien présent. Il comprit pourquoi la sorcière ne pouvait l'inviter à entrer dans l'enceinte du bâtiment qui abritait son coven.

- Les temps sont troublés depuis bien longtemps, Mr Lovell, et ce serait se leurrer que de prétendre le contraire. Ce sort a été jeté voilà plus de quatre décennies par mon père et plusieurs autres sorciers du coven. Il est extrêmement puissant.

Mais il n'était certainement pas là pour parler magie. Je l'interrogeais donc sur sa décision, car il semblait peu enclin, la dernière fois, à hypnotiser l'élue de son cœur si d'aventure elle venait à avoir des doutes ou poser des questions auxquelles Lovell n'avait pas le droit de répondre. Il sembla alors cette fois bien décidé. Lyanna sourit en sortant une grosse bague sertie d'un lapis lazuli.


- Bien. Votre détermination est tout à votre honneur. Je tiens à vous prévenir. Je vais vous jeter un sort qui vous obligera à tenir votre promesse. Ensuite j'ensorcelleraice bijou, que vous ne devrez surtout pas enlever, au risque de vous retrouver à flamber comme une torche au moindre contact avec le soleil. Le sort contrera l'effet qu'a normalement le soleil sur vous et qui vous oblige à dormir. Vous pourrez alors choisir quand le faire, ou ne pas le faire du tout, dépendant vos besoins. En échange, je ne vous demanderai qu'une chose : une morsure.

Le sang des sorcières étant une lointaine descendance de celui des démons, il avait une saveur particulière attirante pour les vampires, aussi le deal ne devrait-il pas paraître difficile pour lui.

- À chaque fois que je vous le demanderai, précise-t-elle. Le marché vous paraît-il équitable ?

 

J’étais anxieux à propos de à cette entrevue ; de par le fait de côtoyer une sorcière et de devoir subir à nouveau, les effets d’un sortilège. Et puisque l’incertitude était de mise quant à la nature de ce dernier, je peinais à demeurer serein. Alors pour se faire ; et puisqu’il m’était impensable de perdre la face, je n’avais de cesse de penser à Eva et tout ce que nous pourrions faire dès lors que le soleil ne représentera plus aucun danger pour moi. Je m’accrochais donc de toutes mes forces à ce projet et à celle que j’aimais plus que de raison.

Qu’on se le dise, la régente avait beau être une sorcière, je me surprenais à ne pas me sentir mal en sa présence. De toute évidence ; et malgré les précautions d’usage, elle semblait elle aussi apprécier ma présence. Certains de mes informateurs m’avaient fait savoir que Lyanna Johnston entretenait une relation spéciale avec mes congénères. J’ignorais la nature exacte de cette proximité et je me refusais à jouer les curieux. Toujours est-il que dès lors qu’elle se présenta à moi, je me sentis presque instantanément moins anxieux ; du moins pour l’instant.

Voilà qu’à présent, la sorcière rectifiait mes dires avec tact ; ce qui je l’avoue, m’incita à ne pas m’offusquer. De toute évidence, la ville était soumise aux troubles depuis bien longtemps. J’apprenais donc que le sort qui protégeait les lieux avait été lancé il y a plusieurs décennies, par des sorciers, parmi lesquels, le père de la régente elle-même. « — Je tâcherai de garder en mémoire que votre coven est bien protégé. » Une façon pour moi de changer subtilement de sujet et de m’éviter une conversation sans intérêt. Et je me refusais à me montrer désobligeant en lui faisait savoir à quel point la magie ne m’intéressait guère.

Et me voilà confronté au tournant tant espéré. Dès lors, je me devais d’être le plus convaincant possible. Ainsi, lors de mon soliloque, je laissais entendre que j’étais prêt à faire tout ce qui était en mon pouvoir pour protéger l’existence des êtres surnaturels ; quitte à devoir hypnotiser Eva. Cette perspective me causait bien des tourments, mais demeurait un faible tribut à payer en comparaison de tout ce que nous pourrons vivre.

Madame la régente sortit alors une magnifique bague sertie d’une pierre bleue semblable à un lapis lazuli. Je l’observais avec intérêt, mais aussi parce que je trouvais le bijou de belle facture. Cependant, le marché n’avait point été scellé et les conditions de la sorcière pas encore formulées. « — Je vous écoute, madame la régente. » Je ne laissais rien paraître, mais je redoutais les paroles à venir, autant que ce qui allait m’être demandé.

« — Je tiendrais ma promesse, n’ayez crainte. Mais j’accepte de subir votre sortilège. » Par la suite, elle m’expliqua brièvement le fonctionnement de ce bijou, que je devais impérativement porter le jour. Jusqu’ici, rien de bien compliqué. Cependant, quelque chose venait t’attirer mon attention. Ce quelque chose me sembla si subtil que j’aurai pu passer à côté si d’infortune la jeune femme n’avait point réitéré sa demande.

« — Une morsure ? Je dois vous avouer que je ne m’attendais pas à cela. D’ailleurs, c’est bien la première qu’une sorcière me demande une telle faveur. Cependant et loin de moi l’idée de me montrer désobligeant, je refuse d’être à votre disposition. Ainsi, je suggère que la morsure soit mensuelle. De ce fait, je pourrais notamment vous rapporter si oui ou non, j’eus été contraint d’hypnotiser la femme que j’aime pour préserver notre secret. Ma proposition vous paraît-elle équitable en retour ? » Je n’étais sûr de rien, mais je me refusais à être à la disposition de cette sorcière, aussi sympathique soit-elle.