Je veux savoir

L e retour d’Eva à Los Angeles ne s’était vraisemblablement pas passé comme James l’avait imaginé. Mais qu’avait-il pensé ? Si d’infortune, la jeune femme avait cédé à la curiosité (chose plus que probable), elle avait forcément découvert des choses compromettantes ; à commencer par le médaillon contenant une photo de la tant regrettée Rosalyn. D’autres clichés figuraient dans ce qui semblait une boîte à souvenirs. Mais pour James, c’était bien plus que ça, ce contenu recelait une part de lui, la meilleure qui plus est ; et quelques breloques du moins en apparence. Il y avait aussi quelques bijoux et d’authentiques documents de banque datant de plus d’un siècle. Des papiers certes attaqués par le temps, mais toujours lisibles, fort heureusement.

Puis il avait fallu ruser et solliciter les quelques connaissances que l’ancien lord avait à sa disposition. Vint ensuite la préparation en vue d’un rendez-vous avec la banque. Pour se faire, on lui avait créé de faux papiers pour qu’il puisse prétendre être un descendant de l’illustre famille Lovell de Londres. Cela lui permettrait notamment de rendre son histoire plus crédible aux yeux d’Eva ; elle qui ignorait tout du monde surnaturel alors qu’elle était entourée de créatures plus mystiques les unes que les autres.

L’épisode de la banque était à marquer dans les annales à plus d’un titre. Jamais, ô grand jamais, le britannique se serait imaginé que les quelques économies qui dormaient paisiblement sur ce vieux compte, avaient fluctué au point de causer quelques bouffées de chaleur au banquier à l’initiative du rendez-vous.

« Ça représente beaucoup d’argent monsieur Lovell. » Il était mal à l’aise, son front dégoulinait presque de sueur et son cœur battait si ardemment que le vampire n’aurait pas été surpris de le voir sortir de sa poitrine. Lui se contentait de rester calme, assez pour qu’on y voit là l’illustration parfaite du flegme anglais. — Le labeur de toute une vie. Mais, dites-moi, vous qui êtes responsable du patrimoine de vos clients, que me conseillerez-vous de faire en matière de placement ? 

À Los Angeles, nombreux étaient les investissements que l’on pouvait faire, plus encore avec autant d’argent. James ne s’en rendait pas vraiment compte, lui qui était habitué à la bonne fortune. Le banquier se drapa sous ses faux airs et lui conseilla d’investir dans la pierre. L’idée était correcte, assez pour la garder dans un coin de sa tête ; du moins un court instant. James étant un impulsif dans l’âme et pour des raisons de confort, il n’avait pas résisté longtemps à l’envie de dépenser quelques billets pour mettre fin à son errance immobilière. Ses critères n’étaient pas excessifs pour quelqu’un de fortuné, il voulait de la verdure, quelque chose d’atypique sans sombrer dans le surplus de modernité, de l’isolement et la possibilité de se préserver du soleil. C’est ainsi qu’on lui présenta plusieurs villas et plusieurs agents immobiliers, avant qu’enfin le Britannique ne se décide.

— Ça sera donc la Villa Conifère.  Un nom atypique et aussi charmant que les lieux. C’était fait, l’errance d’hôtel en hôtel prenait fin, mais le vide qui peuplait le cœur du vampire demeurait à mesure que les jours passaient. Et voilà qu’à présent nous en étions à deux semaines sans aucune nouvelle d’Eva.

 — Tu es indigne d’elle alors pourquoi veux-tu qu’elle perde son temps avec toi ?  Il observait sans conviction le fond ambré de son verre avant de le porter jusqu’à ses lèvres une dernière fois, le cœur lourd face à l’écran large qui lui faisait face. Toujours en quête de savoir, il était constamment branché sur les chaînes d’informations et observait le quotidien des Angelins pour mieux les comprendre tout en fixant l’écran de son portable, toujours dépourvu de la moindre notification.

— Mais oui bien sûr !  Visiblement, il était inspiré, assez pour se défaire de son cellulaire et sortir de son apitoiement. — Je vais me rendre utile !  Un léger sourire prenait vie sur son visage. Il n’avait plus une minute à perdre. Et voilà comment notre cher aristocrate passéiste malgré lui, se retrouva à enchainer les expériences « professionnelles » et à Los Angeles, ce n’est pas ce qui manquait. Cependant, il fallait restreindre le choix et ne sélectionner que des emplois qui pouvaient préserver le vampire de la lumière du jour.

Ainsi, il s’essaya à la cuisine sans succès et peu convaincu que de préparer des burgers allait lui permettre de se racheter. Par la suite, il devient barman et s’il fallait reconnaître le fait que beaucoup semblaient enclins à se confier à lui, le vampire n’en demeurait pas moins persuadé qu’il trouverait mieux ailleurs et dans un tout autre domaine. Il délaissa donc cet emploi et toute une flopée avant de se retrouver près de l’hôpital où Eva exerçait. En observant l’édifice, un léger pincement au cœur lui rappela à quel point la distance devenait de plus en plus difficile à accepter. Mais respectant le choix de l’humaine, le vampire continuait à demeurer silencieux. Et alors qu’il tournait les talons pour s’éloigner le plus possible, il fut surpris de ressentir la présence d’un autre vampire à proximité. Intrigué, il s’approcha de ce qui lui semblait un bien étrange véhicule. Il y croisa le regard « d’une jeune femme » affairée à ranger l’intérieur du véhicule.

— C’est vous qui conduisez cette chose ?  En observant l’habitacle, il comprit très vite qu’il avait déjà séjourné dans un tel véhicule, juste avant de se rendre à l’hôpital. — Vous êtes une…  Il regarda autour de lui et se lança une fois sûr que personne ne pouvait les entendre. — Vampire ? Et vous conduisez ce truc ? Mais, dites-moi, par ce biais, vous êtes possiblement à même de sauver des vies, je me trompe ?  Il se tue l’espace d’un instant, conscient qu’il pouvait aisément paraître étrange. — Ah oui, pardon ! Quel rustre je fais ? Il lui tendit aussitôt la main — James Lovell ! 

L J’avais enfin retrouvé la chose qui me faisait vibrer et vivre, mon ambulance. Mon binôme m’avait aussi manqué. Leslie n’avait pas trop posé de question sur mon absence, j’avais été facilement remplacée mais cette dernière m’avait avouée que ma remplaçante n’était pas aussi douée que moi. Non, je ne me vantais pas, j’étais vraiment bonne dans ma profession et je n’avais jamais fait de fausses notes. J’avais toujours pris les bonnes décisions. Bon, certaines m’avaient quand même values une remise à niveau car mes supérieurs n’avaient pas été de mon avis. On aurait du faire quoi ? On avait une seule ambulance et deux victimes dont une légère alors on a mit tout le monde dans la même et on est parti à l’hôpital.

A présent, ma vie avait changé et j’étais devenue une vampire par accident. Moi qui pensait que ces créatures n’existaient que dans les livres, je mettais lourdement trompée. Je ne pourrai jamais avoir des enfants et ça, ça me rendait triste car je n’avais pas encore eu le temps de me poser la question. J’avais du prendre du temps pour moi car un vampire qui ramène des gens qui pissent le sang tout le temps, ce n’est pas dit qu’ils arrivent en vie.

Mais heureusement, j’avais rencontré un vampire qui m’avait aidé à me contrôler et à prendre sur moi. Ce qui n’avait vraiment pas été facile au tout début. Mais maintenant ça allait, je reprenais doucement le contrôle et j’allais enfin pouvoir revoir Eva. Après une bonne nuit, j’étais en train de nettoyer l’ambulance pendant que Leslie était partie à l’intérieur de l’hôpital chercher tout ce dont nous allions avoir besoin. On avait eu pas mal d’interventions donc la liste était plutôt longue. J’étais entrain de passer de l’eau sur l’avant de mon véhicule, lorsque je sentis une présence.

« Oui, c’est bien moi, pourquoi ? » Je le regardais de haut en bas. « Oui, tout comme vous apparemment... » Mais que voulait-il ? « Eh bien oui, je suis ambulancière donc c’est un peu le principe. » Je le regardais un peu avec méfiance. Ce dernier finit par me tendre la main que je venais serrer en faisant attention de ne pas y aller trop fort. Oui, je devais aussi maîtriser ma force. « Letitia Sanchez, je suis ambulancière. Que faîtes-vous à trainer devant l’hôpital ? Est-ce que vous cherchez de quoi boire ? »

I l faut du temps pour parvenir à se trouver et plus encore pour se (re) trouver. James avait passé bien plus de temps en vampire qu’en humain et de ce fait, il peinait à se défaire de quelques « vieux » restes ; tout comme il peinait à se souvenir avec exactitude de celui qu’il était avant que la fatale destinée ne le prenne sous son aile. La seule réminiscence précise qu’il conservait de sa version humaine le ramenait aux bas-fonds londoniens où il se rendait avec son père pour faire cadeau de quelques possessions. Les Lovell étaient des gens bien malgré leur statut aristocratique, ce n’était un secret pour personne, encore moins pour les familles rivales qui ne se donnaient pas la peine de faire preuve de charité à l’égard des plus démunis.

Cela devait être plaisant s’autorisait-il à penser avant que la réalité ne le rattrape.

De la bonté, il ne savait plus rien. Comment diable pouvait-il s’en souvenir lui qui avait semé la mort et le chaos durant des décennies ? Et voilà qu’à nouveau, les suppliques de quelques-unes de ses victimes se faisaient entendre dans un coin de sa tête. Depuis qu’Eva avait mis de la distance, ce fardeau s’était considérablement accru. Comment ai-je pu commettre autant de crimes ? Pourquoi ? Des questions qui restaient sans réponse. Et le vampire qui jusqu’alors ne croyait pas à l’existence du divin et qui se savait incapable de pénétrer un lien consacré avait pourtant hésité à solliciter l’aide d’un prêtre pour se confesser. En vain, le projet demeurait trop fantasque, même pour lui. Alors il s’était convaincu d’œuvrer pour « faire quelque chose. » Bien sûr, il n’était plus assez naïf pour penser que le simple fait d’opérer quelques donations sauverait son âme d’une quelconque façon. Mais en agissant de la sorte, il avait au moins l’impression de faire quelque chose d’utile et d’alléger son fardeau.

Le hasard (qui n’en était pas un) l’avait ainsi mené aux abords de l’hôpital où Eva exerçait ; un lien qu’il ne gardait en mémoire que pour cette première rencontre. Son cœur se serra lorsqu’il vit la double porte coulisser. Mais non, ce n’était pas elle, juste un visiteur. Le vampire sentit alors la présence d’un autre de ses congénères, ce qui le surprit compte tenu de l’endroit. Et c’est ainsi qu’il se rapprocha de l’ambulance dans laquelle se trouvait Leticia, dont il ignorait le lien avec Eva.

De prime abord, la jeune femme semblait sur la réserve, presque méfiante. Comment ne pas l’être en de telles circonstances ? James ne s’en formalisa point, pour ainsi dire, il était ravi de croiser une autre vampire sur sa route. — Oui comme moi. Mais j’ai l’impression que pour vous c’est comme qui dirait plus récent. Il lui tendit alors la main, tâchant de rattraper son manque de politesse. L’ambulancière demeurait méfiante, mais consentit à serrer la main qui venait de lui être tendue. James savait, dès lors, qu’il allait devoir redoubler de patience pour gagner la confiance de son interlocutrice.

— Non… commença-t-il en répondant à la question précédemment formulée. — Rassurez-vous, je ne suis pas ce genre de vampire ; je me contente du sang synthétique. Ça n’est pas ce qu’il y a de meilleur, mais je me sens moins coupable en le consommant. Il est vrai que ce type de collation n’était pas ce que l’on pouvait trouver de plus appréciable, mais le vampire s’en accommodait pour l’instant. — Donc vous êtes ambulancière ? Vous sauver des vies c’est ça ? Il marqua une pause, comprenant après coup, à quel point son interrogatoire pouvait paraître singulier, surtout à une parfaite étrangère pas au fait de sa situation. — Vous allez sûrement trouver ça bizarre, mais je cherche à me rendre utile. Je crois qu’on dit se racheter une conduite par ici. Cela vous dérangerez de me prendre avec vous et de me faire voir un peu comment ça se passe ? Je vous promets de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour ne pas vous incommoder. Dans le pire des cas, cela pourrait ne durer qu’une nuit. Je veux juste comprendre comment vous faites pour concilier votre nature et votre sens du devoir.

L Clayton m’avait toujours apprit de me méfier des vampires que je ne connaissais pas. Car comme chez les humains, il y en a des bons et des mauvais. Ceci dit, ce dernier avait un bon instinct, il avait compris que j’étais une jeune vampire. Je l’écoutais avec attention. Tiens, s’était intéressant de voir que lui aussi prenait du sang synthétique. Je faisais exactement la même chose. La vie humaine était bien trop précieuse et je ne voulais pas boire des pochettes. Car des victimes pourraient avoir besoin d’une transfusion. Je me sentais un peu mal à l’aise de devoir lui dire ça.

« Eh bien, je suis vraiment désolée de vous dire ça, mais ça ne va pas être possible… Pour des raisons d’assurances et de confidentialité, nous n’avons pas le droit de prendre des personnes extérieur avec nous dans l’ambulance. Pour faire cette profession, ça prend des études. Mais si vous voulez aider des gens, il y a la Croix rouge qui cherche des bénévoles pour venir en aide aux sans abris ou aux personnes qui manquent de moyen pour se soigner. C’est tout ce que je peux faire pour vous malheureusement. » Je lui faisais un petit sourire en coin.

«Il devrait y avoir plus de gens comme vous. Le monde serait vraiment meilleur. Mais, je peux quand même vous apprendre les soins de premiers secours si un jour vous êtes témoins d’un accident. Est-ce que c’est quelque chose qui pourrait vous convenir ? » Je pourrais aller chercher le mannequin avec lequel on faisait de la prévention dans les écoles. Il pourrait aider déjà beaucoup de personnes de cette façon. Car dans cette ville, les accidents sont vraiment très voir même trop fréquent. Je fermais les portes de mon ambulance qui était à présent prête si une alarme devait retentir et je retournais vers James.

L e sang synthétique n’avait aucunement ma préférence, mais je m’en étais accommodé. Boire de l’hémoglobine humaine m’était toujours possible, mais pour une raison qui m’échappe encore, je demeurais incapable de le déguster comme j’aurais pu le faire jadis. De toute évidence, il n’avait plus le même goût et je n’éprouvais aucun plaisir à le consumer avec délectation ; il me dégoutait presque autant que le sang artificiel. Quelle triste vie (ou mortalité) c’est au choix ! Malgré ce sinistre constat, je refusais de me plaindre sur ma condition, car à n’en pas douter, il existe dans ce bas monde, des conditions bien moins enviables que la mienne.

Mais revenons à ce qui m’importe ; mon changement de vie. Enfin, c’est un peu trop prétentieux comme objectif, car je n’ambitionnais point de changer d’existence, mais juste me rendre ponctuellement utile. Malheureusement pour moi, mon interlocutrice mit un terme à mes grandes ambitions. — Comment ça impossible ? Je peinais à le croire, si bien qu’il me fallait des réponses. Par chance, la jeune femme consentit à faire preuve de plus de clarté quant à l’impossibilité pour moi de la suivre.

— Rassurez vous, je n’avais pas l’intention d’aller crier sur les toits que je cherche à me rendre utile. Et pour ce qui est des études, je me vois mal en faire et vous vous doutez pourquoi. Je pourrais vous payez vous et la personne qui vous emploie. Oui, c’est possible et j’ai des moyens conséquents, alors pour quoi s’en priver ? Bien malgré moi, je me retrouvais à nouveau confronté à ce monde qui n’avait de cesse de me dépasser. Et si jadis l’on pouvait aisément soudoyer les gens pour avoir ce que l’on veut ; ici, il fallait procéder autrement.

 — La croix rouge, vous avez dit ? Et où se trouve cette croix ?   Je me sentais si bête de ne pas comprendre ce qui lui semblait logique. Et alors que dans ma tête, tout filait à vive allure, la demoiselle me fit un compliment qui me mit très mal à l’aise.

 — Non, je pense qu’il est préférable que le monde ne soit pas peuplé de trop de gens comme moi ; croyez-en mon expérience. Cela dit, je veux bien accepter votre proposition quant au fait de m’apprendre les soins de premiers secours.  J’inclinais à nouveau la tête, avant de rebondir sur mes propres propos.  — Mais avant tout, j’aimerai savoir comment vous faites pour gérer tout ça ; j’entends par là le fait d’être… un vampire et sauver des gens, humains y compris ? Ce n’est pas trop difficile ?

L Je secouais négativement la tête à ce qu’il me disait. « Je suis vraiment ravie de voir à quel point vous êtes motivé à aider votre prochain monsieur, mais ça ne fonctionne pas comme ça à notre époque. Vous ne pouvez pas donner d’argent à mon supérieur. Déjà, c’est interdit et il ne l’acceptera pas de toute façon. Donc non, vous ne pourrez pas me suivre.Oui, la croix rouge, s’est le nom de l’association. » Tout en lui parlant, je prenais mon calepin et un stylo et j’écrivais l’adresse. J’arrachais la page et je la lui donnais.  « Josh est le responsable. Dites lui que vous venez de ma part. »

« Alors parfait, je vais vous apprendre les gestes, suivez moi. » Je le guidais dans le garage de l’ambulance et j’allais sortir le buste du mannequin tout en écoutant ce qu’il me disait. « Eh bien, pour être totalement honnête, ma reprise de travail a été une véritable torture en ce qui me concerne. J’ai travaillé sur moi pendant un an avec un vampire qui m’a aidé et qui m’a apprit à me contrôlé. Je ne sais pas où je serai si ce dernier ne m’avait pas trouvée. »

Je posais le buste au milieu de la pièce et j’allais ensuite me mettre à côté de James. « Voilà notre victime, imaginez que ce dernier à perdu connaissance devant vous. Sans que je ne vous dise quoi que ce soit, avez-vous une idée de ce que vous devriez faire pour commencer ? »

Je ne voulais pas lui donner toutes les réponses tout de suite. Dans une situation d’urgence, nous avons des réflexes que nous n’imaginons même pas. Si ça se trouvait, il était plus doué que ce qu’il pensait. Tout en l’observant, je me posais des questions.

Je sentais qu’il n’était pas un nouveau né à la façon dont il parlait et à sa manière de se déplacer. Mais je restais silencieuse car je ne voulais pas être indiscrète. Je savais que la curiosité était un vilain défaut. J’espérais que nous n’allions pas avoir un appel qui viendrait nous interrompre. En ce moment, les nuits étaient relativement calme, ce qui ne faisait pas de mal. Ma collègue en avait profité pour aller se prendre une bonne douche et pour aller dormir un peu. Je l’avais entendue faire maintenant que je savais maîtriser mes sens. C’était pratique pour tout dire.

J' étais déçu et peut-être même un tantinet contrarié de voir que les choses n’étaient pas aussi simples. Jadis, il m’aurait presque fallu claquer des doigts pour avoir ce que je voulais. Mais à présent, j’en étais réduit à faire preuve de politesse. Soit, je vais m’y faire et accepter le fait que tout n’allait pas me tomber tout cuit dans le bec. La rédemption est un parcours semé d’embuches, le cas échéant elle n’aurait tout bonnement aucun intérêt et le premier des pêcheurs pourrait y prétendre sans fournir le moindre effort.

 — A une certaine époque, il était aisé de corrompre. Je constate que ce n’est plus le cas aujourd’hui.  J’aurais aisément pu m’en offusquer, mais à ma grande surprise cela me réjouissait. Car si les autres étaient difficilement corruptibles, peut-être que je pourrais moi aussi m’y soustraire. Toujours est-il que cela n’arrangeait point ma situation et cette envie de me rendre utile coûte que coûte. Par chance, mon interlocutrice semblait encline à m’aider et me tendit aussitôt un bout de papier sur lequel figurait ce que j’interprétais comme une adresse. — Donc je dois solliciter un certain John de votre part ?  J’en déduisais que l’homme en question la connaissait et que le fait de la citer en référence était une bonne chose.

Leticia fraichement mordue, n’en demeurait pas moins pourvue d’une gentillesse qui me surprit, moi qui n’avais connu que très peu de vampires aimables. J’acceptais donc, sans méfiance, de la suivre pour apprendre les gestes de premier secours. Les lieux me semblèrent hostiles, froids par leur grandeur et désagréables par l’odeur d’essence qui embaumait cet imposant garage. Ça et la présentation d’un mannequin en plastique que j’allais devoir manipuler.  Soit, s’il le faut !  laissais je échapper tout en me redressant mes manches avant de reporter mon attention sur ma jeune congénère.

— Je vous envie d’avoir été accompagné correctement bien que cela ait été une vraie torture de prime abord. Ce n’est jamais facile au début ; une difficulté accrue lorsque votre sir est voué à vous faire prendre la mauvaise route.  Et il est vrai que de ce côté-là, j’en savais quelque chose. Le vampire à l’origine de ma transformation m’avait poussé sans ménagement, animant sans cesse ma colère et donnant une intensité sans pareille à mon désir de vengeance. Mais ne nous méprenons pas, je ne pourrais me résoudre à renier tous les crimes qui me sont imputables. Tout ce que j’avais fait, je l’avais accompli par ma propre volonté. Je ne pouvais dès lors me cacher derrière de faux semblant pour tenter de justifier l’injustifiable.

Mais nous n’étions pas là pour parler chiffons. Face à moi se trouvait le fameux mannequin présenté comme étant notre victime.  — C’est un jeu de rôle que vous me proposez ?  demandait-je un brin intrigué.  — Je vois !  marmonnais-je peu convaincu avant de m’approcher de la victime en plastique. — J’imagine que de prime abord, il me faut sentir son pouls ou la constance de ses battements cardiaques. » J’essayais de me souvenir de ma première rencontre avec Eva et des gestes qu’elle avait accomplie pour me maintenir « en vie. 

— Un massage cardiaque !  lançais-je frappé par un semblant de révélation. De ce fait, je pris soin de me mettre à genoux. — Il est fort probable que je lui brise des côtes puisque je ne sais pas faire de massage cardiaque. Vous pourriez éventuellement me montrer comment faire non ? 

J

e voyais bien que James était déçu de ce que je venais de lui dire. Mais en même temps, je ne voulais pas lui mentir non plus. Nous étions dans une époque où il fallait des diplômes pour toutes les professions qui touchaient au milieu médical. Je ne pouvais donc pas lui dire mieux que d’aller aider à la croix rouge. Je savais très bien qu’ils manquaient toujours de monde et qu’ils n’y avaient pas besoin de diplôme pour y travailler. Au moins, il pourrait se sentir utile et aider un maximum de personne dans le besoin, perdues ou livrées à elles-mêmes dans les rues.

« Je me doute que oui, mais les temps ont changé. Le médical est quelque chose de bien trop délicat pour que nous puissions laisser intervenir n’importe qui, n’importe quand. Il faut être sûr de ses gestes, il faut connaître les médicaments qui ont évolués eux aussi. Il y a vraiment beaucoup de choses à savoir et à connaître. Si on mélange deux médicaments ou si on en donne trop, on peut tuer la personne que l’on essaie de sauver. C’est donc relativement délicat, mais je peux tout à fait comprendre que vous vous sentiez frustré. »

« Oui tout à fait, vous allez à cette adresse et vous dîtes à John que vous venez de ma part. Il va vous former et vous montrez tout ce que vous allez devoir faire. » James n’était pas la première personne que j’envoyais là-bas. Je savais que tout allait bien se passer. Il avait tellement envie d’apprendre et d’aider que je ne me faisais pas de souci. Je le guidais ensuite vers notre mannequin afin de lui apprendre les bases du secourismes. S’il savait déjà faire ça, ça allait être utile à John qui allait pouvoir le former sur autre chose.

« Oui, j’ai vraiment eu de la chance d’être trouvée par lui. Je ne sais pas du tout ce que je serais devenue si j’avais été livrée à moi-même. Je ne sais même pas si je serais encore ici entrain de vous parler. Mais je peux vous dire que ça n’a vraiment pas été facile… J’ai quand même réussi à prendre sur moi car mon amour de la profession a vraiment été plus forte que tout le reste pour être honnête. Je veux continuer à sauver des vies et à m’adapter à ma nouvelle condition de vampire. »

Je lui faisais un petit sourire en coin. « oui ! Un massage cardiaque, s’est une excellente réponse ! Non, cassée des côtes est monnaies courante malheureusement. Montrez-moi comment vous procédez et je vous corrigerai à mesure. »

J' étais imparfait à bien des égards, mais je ne rechignais pas à l’idée de m’améliorer. Pour se faire, il me fallait accepter de régresser, de repartir de zéro. En somme, je devais accepter de me prêter au jeu de l’apprentissage, qui accessoirement me permettait de sociabiliser davantage en la présence de mademoiselle Sanchez. Elle était des nôtres, si je puis dire. Mais une appartenance récente, assez pour qu’elle en soit encore elle aussi en phase d’apprentissage. Cependant, contrairement à moi, il était évident qu’elle n’avait point besoin d’entamer une mue pour devenir une meilleure personne. Je voyais bien à son regard, à la façon dont elle s’était adressée à moi malgré la méfiance, qu’elle demeurait quelqu’un d’altruiste, et ce en dépit de sa vampirique transformation. Quelque part, je la jalousais d’être ainsi et d’avoir à ses côtés, un vampire pourvu de bonnes intentions ; ce qui n'avait pas été mon cas lors de ma propre transformation. Moi, je n’avais eu que colère et désolation, avant que de sombres atours achèvent de faire de moi, celui que l’on se faisait un plaisir de nommer le « bloody lord » dans les rues sordides d’un Londres qui l’était tout autant.

— En presque un siècle, il serait regrettable que les temps demeurent inchangés. Je crois que je n’en avais pas pris la pleine mesure, exalté que je suis. La croix rouge sera donc, à n’en pas douter, la meilleure des alternatives pour moi.  J’esquissais un léger sourire, pour lui faire comprendre, malgré l’inconfort de la situation, que je ne lui en tenais pas rigueur et qu’elle avait sûrement raison, sans pour autant me frustrer. J’ai beau venir d’un autre temps, consentir d'accepter qu’une femme peut avoir raison ne m’ait pas difficile à admettre.

— Ainsi, je n’aurai qu’à dire à ce dénommé “John” que je viens de votre part. C’est noté !  Était-il un vampire ? Non, cette hypothèse était fort peu probable. Malgré tout, je me devais d’être ouvert d’esprit et d’accepter qu’un humain puisse me venir en aide et consentir de son plein gré à m’aider. Eva, elle-même, est humaine et il serait mentir que de ne pas admettre qu’elle m’avait appris bien des choses.

Dès lors, je consentais à suivre mademoiselle Sanchez vers un ailleurs propice à l’apprentissage ; un endroit où l’odeur de l’essence était omniprésence, tellement qu’il me fallut un instant pour m’y faire, autant que d’accepter de manipuler le mannequin que la gentille demoiselle venait de me présenter. Mais avant tout, une once de théorie n’allait pas me faire du mal. Bien décidé à marquer des points j’entrepris donc de répondre le plus sérieusement possible aux questions qui venaient de mettre posées.

— Ravi de savoir que le massage cardiaque est une bonne réponse.  J’étais cependant un peu moins euphorique en constatant que le sol était suffisamment sale pour qu’en me relevant, mes genoux soient couverts bien malgré eux, d’une pellicule de poussière. Mais soit, sauver des vies requiert quelques sacrifices. — Par chance, une charmante médecin m’a montré comment faire.  En pensant à Eva, une fois encore, je m’exécutais en m’assurant en amont, que notre victime en plastique se trouvait sur un plan dur. Puis je plaçais le talon de ma main gauche au milieu de la poitrine froide de notre hypothétique victime. Le talon de ma main droite vint ensuite se poser sur ma première main. Les deux mimines solidarisées, je tâchais d’apporter la bonne impulsion en prenant soin de ne pas appuyer à l’endroit où devait normalement se trouver les côtes et la partie inférieure du sternum.

— Après chaque pression, je crois qu’il faut laisser la poitrine de la victime reprendre sa position initiale, tout en continuant à maintenir nos mains en position sur le sternum. Il faudra remercier le docteur Cortez pour ses précieux conseils. Vous devez la connaître, j’imagine , lançais-je innocemment.

J'


avais vraiment de la chance d’avoir Clayton dans ma vie. Enfin, dans mon existence, car j’étais morte et quand j’y pensais, ça me faisait froid dans le dos. J’étais passée par la phase colère lors de ma rencontre avec lui. Je voulais avoir un mari, des enfants et avoir la chance de les voir grandir. Mais ça n’arriverait jamais… J’en avais été triste pendant quelques mois et je faisais tout pour me reprendre et faire mon deuil, mais pour tout dire, ce n’était vraiment pas une chose facile. James était pleine de bonnes volontés et j’étais triste de me dire qu’il n’y avait pas assez de vampires comme lui sur cette terre.

Je lui rendais son sourire. « Mais n’oubliez pas que vous avez l’éternité devant vous. Vous pouvez très bien reprendre des études et devenir ambulancier ou médecin si c’est si important pour vous. Mon père m’a toujours dit qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre. Je suis certaine que vous feriez un très bon médecin. Oui, la croix rouge est un très bon début. Ils manquent de bras et aussi de fond. Ils se font très souvent voler malheureusement. L’être humain me dégoutte pour ça.Comment peut-on voler des fonds pour des pauvres ?»

Je regardais ensuite James effectuer son premier massage cardiaque. Il avait l’air de bien s’y connaître. « Oui, c’est tout à fait ça ! Attendez, vous connaissez Eva ? Bien sûr que je la connais ! C’est ma meilleure amie pour tout vous dire. Comment vous l’avez rencontré ? » J’étais curieuse, je savais que le monde était petit mais là. Il le faisait vraiment bien. Sauf que ma concentration s’envola un peu. Je me posais tout un tas de questions sur comment et quand ils s’étaient rencontrés. J’avais hâte d’entendre ce que James allait me raconter.

J e ne pouvais me targuer d’avoir la science infuse, surtout après plus de huit décennies de captivité, mais il me suffisait de poser le regard sur Leticia Sanchez, pour comprendre à quel point elle demeurait une bonne personne malgré sa transformation. Cependant, ce constat était affligeant, car je ne pouvais m’empêcher de comparer sa situation à la mienne. J’eus été incapable de prendre les bonnes décisions et s’il m’était aisé de trouver des coupables à ma condition, je ne pouvais nier le fait que j’avais agi en pleine possession de mes moyens. Personne ne m’avait contraint à tuer tous ces gens. La tentation de s’appuyer sur cet argument s’était fait ressentir à de nombreuses reprises avant que la culpabilité ne me rattrape pour exercer sur moi sa funeste malédiction. Si seulement j’avais été bien accompagné peut-être n’aurais-je pas accompli tous ces crimes. La vengeance n’aurait pas été mon unique et fidèle maitresse. Peut-être aurais-je eu un semblant de vie. Et à n’en pas douter, je ne me serais pas retrouvé enfermé dans un cercueil de fortune à tapisser le fond de l’océan. Alors oui, peut-être que j’éprouvais un semblant de jalousie quant à l’idée de voir quelqu’un ne pas être profondément transformé après avoir été changé en vampire.

Elle me rendit le sobre sourire que je venais de lui offrir avant de se lancer dans un monologue qui m’intrigua et fit naître en moi, une bien étrange sensation loin d’être désagréable, mais teinté d'une légère amertume. « — L’éternité est longue par définition, mais je dois bien reconnaître que je n’avais pas pensé à reprendre des études. De vous à moi, cela serait une grande première. Et puis j’ai quatre-vingts années à rattraper. » J’en disais trop et nul doute que la demoiselle pourrait, en de telles circonstances, céder à cette curiosité maladive que semblent éprouver les Angelins lorsqu'un sujet de conversation sort de la banalité.

« — Votre père a raison si l’on part du postulat que nous avons l’éternité pour apprendre. » Je me doutais bien que lui et les autres membres de sa famille, n’avaient, contrairement à Laetitia, pas l’éternité pour étayer leur apprentissage. Dès lors, je me sentis désolé pour elle. Avait-elle conscience que le temps devenait à présent une entrave, surtout pour les personnes qui lui sont chères ? Le sujet semblait délicat, trop pour que je m’exhorter à développer la conversation. Je préférais par conséquent me raccrocher à quelque chose de plus consensuel dans le propos.

« — L’être humain est imparfait. Mais condamner certains pour les erreurs que d’autre ont accomplis, serait une erreur. J’ai trop eu tendance à généraliser par le passé et je le regrette amèrement. Alors, peut-être que la part de salauds ne représente qu’une infime partie des êtres humains et que finalement, tout n’est pas perdu pour eux. » Je me surprenais moi-même en prononçant de telles paroles, sincères qui plus est. Mais je n’étais pas dupe, ma rencontre avec Eva y était pour beaucoup. Il y avait d’abord sa ressemblance frappante avec un amour passé ; cela doublé d’une positivité incroyable et ce malgré les épreuves que la vie lui avait si injustement infligées.

Me voilà réduit à pratiquer des gestes de premier secours sur un être qui n’en aura probablement jamais besoin. Je me hâtais également, en bon élève que je suis, de retranscrire ce que j’avais appris auprès d’Eva. Mais la curiosité de Leticia mit un terme à l’exercice. « — Votre meilleure amie ? Et bien, l’on peut dire que le monde est petit. » Et il l’était effectivement. Mais alors que bon nombre de questions se bousculaient dans la tête de mon interlocutrice, une seule hantait mon esprit. « — Est-elle au courant de ce qui vous est arrivé ? » Je connaissais déjà la réponse, mais je ne pouvais m’empêcher de poser la question, au risque de me faire du mal. Une question en chassant une autre, me voilà réduit à constater non sans amertume, que la demoiselle, bien qu’étant la meilleure amie d’Eva, n’avait aucune connaissance d’un dénommé James.

« — Elle ne vous a pas parlé de moi, j’imagine ! »

E lle était curieuse, peut-être trop à mon goût. Cependant, je me refusais à faire montre d’une quelconque présomption en la reprenant. Pire, je me risquais au jeu des questions-réponses comme « ils » disent par ici ; bien que peu friand de me livrer un peu trop ce soir.

« — En fait, je suis bien plus âgé. Je ne saurais vous dire avec exactitude, mais je pense m’approcher des deux cents ans. Et pour la faire simple, j’ai disparu pendant plus de quatre-vingts ans. D’où le petit décalage avec la modernité, qui parfois me fait défaut, je l’avoue. » Comment diable le dissimuler puisque cela se voyait comme un nez en pleine figure ?

Cette discussion, bien que simple de prime abord, devenait intéressante autant que mon interlocutrice, une toute jeune vampire. Je me revoyais à l’époque, constatant avec amertume que je n’étais pas aussi sage qu’elle et en proie à une quelconque tolérance. Moi, je n’étais que colère et me laissais gagner sans peine par ce sentiment destructeur à l’origine de ma perte autant que la vengeance. Aujourd’hui, ni l’une ni l’autre ne semblait exercer une quelconque influence sur moi. Cependant, je pouvais les sentir, elles étaient comme anesthésiées, plus encore en la présence d’Eva. Eva qui était à présent au centre de notre conversation.

J’apprenais donc que j’avais affaire à la meilleure amie de ma tendre doctoresse ; un lien qui rendait mademoiselle Sanchez plus intéressante à mes yeux et qui réduisait considérablement ce petit monde dans lequel nous étions supposés évoluer. Un monde dans lequel nous étions bien malgré nous, soumis à tout un tas de codes dont celui de taire notre existence aux yeux des mortels. « — Votre meilleure amie ! » repris-je d’un ton las avant de comprendre que je n’étais à présent pas le seul à mentir à Eva. « — Vous êtes jeune et encore attaché à votre vie d’humaine. Et j’imagine que les personnes qui vous aiment sont encore, pour la plupart, toutes de ce monde. Malheureusement, la difficulté éprouvée ne fera que s’accroître avec le temps. » Que de sombres paroles James ! Je ne pouvais continuer à dresser un tableau aussi noir, il me fallait quelque chose à quoi me raccrocher et ce quelque chose fut vite trouvé.

« — J’ai rencontré Eva sur la plage, peu après mon retour à la vie si je puis dire. J’étais mal, assez pour ne pas avoir le contrôle. J’ai atterri bien malgré moi à l’hôpital. Elle s’est occupée de moi, sans savoir ce que j’étais. Elle l’ignore toujours et je m’en veux de ne pas pouvoir lui dire la vérité. J’ignore si je pourrais le faire un jour, car voyez-vous, j’ai un passif sanglant. J’ai commis des crimes dont je ne suis pas fier et je suis certain que si Eva venait à l’apprendre un jour, elle ne pourrait comprendre et accepter. Mais vous, peut-être qu’un jour vous pourrez le faire. »

E lle était surprise lorsque j’énonçais mon âge. Il est vrai, sans vouloir me jeter quelques fleurs, que mon apparence ne reflétait point mon âge réel et qu’il était facile de se tromper. Même si l’apparence faisait de moi un jeune homme, mon attitude et ma façon de m’exprimer trahissaient cet état de fait. Preuve en est que j’avais encore quelques efforts à faire pour mieux m’intégrer.

« — Ah, mais non, je ne suis pas vexé. Quand l’on devient immortel, l’âge n’est plus une offense, vous pouvez me croire. Cependant, je me rends compte qu’il va me falloir un peu de pratique pour davantage m’intégrer au XXIe siècle. Mais non, dans le pire des cas, je pourrais toujours dire que je suis anglais, ça justifiera ce qui ressemble à de l’excentricité. »

Par la suite et parce qu’elle était trop jeune pour contrôler ses facultés, je pus avoir accès à ses pensées. Et si de prime abord, elle semblait comprendre pourquoi Eva était sous mon charme, elle soulevait ensuite une problématique à laquelle j’étais confronté depuis quelque temps, à savoir notre avenir ensemble. Et le fait que la jeune vampire évoque l’impossibilité d’enfanter comme un sacrifice me fit mal au cœur, plus que je ne l’aurais cru. Ainsi, Eva voulait avoir des enfants. Si tel était le cas, je ne pouvais prétendre à un tel projet étant ce que je suis. Un statut qui avait en plus ses codes, puisque de toute évidence, à Los Angeles et partout ailleurs, il était primordial de cacher notre existence aux humains. Ce qui me valut, je le crois, une belle soufflante de la part de ma jeune congénère, plus au fait des règles que moi.

« — Il n’est nullement question d’attirer des ennuis à qui que ce soit et encore moins à Eva. Veuillez me pardonner, j’ai parlé trop vite et sûrement sous le coup de l’émotion. Je ne supporte que très mal de devoir lui mentir et c’est de plus en plus difficile. D’ailleurs, je me refuse à l’hypnotiser. Je ne pourrais jamais me résoudre à lui faire ça. Mais je peine à l’imaginer disparaître, voire même vieillir alors que moi je demeurais inchangé. C’est difficile et j’ai l’impression de ne pouvoir en parler à personne. J’imagine que c’est aussi votre cas, n’est-ce pas ? »