Chacun avait décidé de laisser de côté ses appréhensions, ses craintes, ses croyances, pour savourer quelque chose de nouveau, de pur, d’essentiel. Seule une peur persistait, celle de voir ce secret dévoilé au grand jour, de se risquer au qu’en dira-t-on. C’était un cap que Jordie ne voulait pas franchir. Elle préférait se blottir dans ce secret comme dans une bulle protectrice dans laquelle elle pouvait s’abandonner, sans jugement. Peut-être qu’un jour ils laisseront cette bulle éclater, mais le jour où le monde apprendra que la leader des vampires et l’alpha filent la parfaite idylle n’est pas encore venu.

Depuis plusieurs mois, les deux amants se retrouvent sous couvert de discrétion, suivant un même schéma. Un message, un rendez-vous dissimulé pour une parenthèse de fougueuse tendresse. Peu à peu, la crainte a laissé place à la confiance. Il fallut du temps à Jordie pour accepter ses sentiments sans culpabilité aucune, mais Juan sût trouver les mots justes, les bons gestes pour faire tomber la carapace. Chaque nuit, chacun se dévoilait un peu plus. Ensemble, ils dissipaient leurs doutes, apaisaient leurs tourments. Entre ses mains, l’immortelle pensait vivre à nouveau. Dans sa chaleur réconfortante, elle pouvait enfin sortir de ses ténèbres.

Peu avant la tombée de la nuit, alors que Jordie sortait de la lourde torpeur de la journée, un message apparu sur son téléphone personnel. Le destinataire n’était pas nommé, par sécurité, mais elle savait pertinemment de qui il s’agissait et ne put réprimer ce sourire si particulier.

“Là où tout a commencé, 23h.”

Ainsi, Juan voulait retourner sur les lieux de leur première rencontre. Sensible au romantisme de la situation, Jordie voulut marquer le coup en portant la même tenue que ce soir-là. Une jolie robe de soirée, et quelques plumes dans les cheveux. Pour rester fidèle à l’histoire, elle s’y rendit même pieds nus.
Alors qu’à l’heure convenue elle se dirigeait vers la plaine de leur première rencontre, l’immortelle aux pieds nus était bien loin d’imaginer ce qui l’attendait.

Les départs de nos proches tant aimés étaient toujours un grand déchirement. J’étais rentré dans la meute de Los Angeles Il y avait de cela plus d’un an et demi. L’histoire disait que ce n’était au départ pas de mon propre chef. Devenir loup n’avait jamais fait parti de mes plans d’avenir. Le choc, le réveil dans un corps changé a vie, la perte de mon épouse, l’incompréhension… La colère et la tristesse avaient pris le dessus sur moi. Une prise médicamenteuse lourde contre la dépression m’avait assommée quelques mois.

Et puis, il y avait cet homme, l’alpha de la meute, qui m’avait accueilli à bras ouverts dès le premier jour. Toujours sage dans ses paroles, très prudents dans ses actes, il avait réussi à me faire sentir comme un membre important de cette nouvelle famille qu’était la meute. Elle avait désormais une place dans mon cœur et je ne pouvais plus m’en détacher. Même si je ne vivais pas avec elle, je la rejoignais régulièrement, dès que j’en avais l’occasion. J’avais commencé à tisser des liens avec Juan, j’appréciais de plus en plus l’homme qu’il était.

Lorsque j’eu appris qu’il nous quittait pour de nouveaux horizons, évidemment je l’avais ressenti comme un crève coeur. Le soir même où il avait annoncé à toute la meute son départ, il m’avait pris seul un moment pour discuter d’un sujet délicat. L’alpha avait quelqu’un dans sa vie, et, il ne pouvait pas emmener cette personne avec lui. Quand il m’expliqua qu’il entretenait une relation avec la leader des vampires, je fus d'abord abasourdi. Il savait que je ne jugerais pas leurs sentiments qu’ils avaient l’un envers l’autre, mais je du avaler l’information. Il me faisait confiance pour annoncer la séparation à son tendre et regretté amour Jordie Davis.

J’avais alors donné rendez vous à la leader vampire. L’après midi avant de la rencontrer, j’avais été particulièrement stressé. D’une part parce que je n’avais jamais été seul avec un vampire, et d’autre part parce que ce que j’allais devoir lui annoncer quelque chose de terrible.

Alors quand je l’ai vu arriver du bas de la plaine où leur histoire avait commencé, si belle et apprêtée comme elle devait le faire sans doute à chacune de leurs retrouvailles, je senti mon cœur se serrer. J’allais briser le cœur de cette femme ce soir. Lorsqu'elle fut face à moi, je ne savais pas si je devais lui serrer la main ou utiliser une quelconque autre forme de politesse pour me présenter. Je resta sobre et m'inclina très légèrement devant la reine des vampire.

« - Bonsoir Madame Davis. »  marquant une pause et me raclant la gorge. « - Je suis Robin Whiteleaf. Un lycan de la meute de Juan. Enchanté. »

Je comprenais sa surprise en me voyant si particulier et cher à son cœur. Je ne voulais pas la faire tourner en rond trop longtemps.

« - Je viens de la part de Juan, pour avoir une discussion avec vous...»

Jordie se rendit rapidement compte que le loup qui l’attendait à l’autre bout de la plaine n’était pas son amant. Elle ne le connaissait pas, mais il n’avait pas l’air hostile. Était-ce un piège qu’on lui tendait? Était-il arrivé quelque chose à Juan?
Elle qui venait de base le cœur léger était maintenant sur ses gardes en arrivant face à cet inconnu. L’immortelle balaya la zone du regard afin de détecter la présence d’un potentiel danger. A cette heure-ci du soir, tout était calme. On était bien loin de l’agitation de la ville et les vampires évitent de venir trop proche du territoire des lycans, en raison des accords passés entre les clans. Il n’y avait visiblement qu’eux sur plusieurs kilomètres à la ronde … On entendait que les bruits doux de la nature, de la brise légère dans les épines du pin aux hululements de la chouette. Un cadre idéal, propice au calme et à la sérénité … s’il n’était pas ponctué par cette soudaine tension.
L’absence de personnages hostiles n’enleva pourtant pas la méfiance de Jordie qui toisa le dénommé Robin de son œil froid.

-Bonsoir…

Était-il dans la confidence? Que savait-il de la relation que les deux leaders entretiennent? Jordie ne savait absolument pas comment se comporter avec lui. Il ne se montrait ni hostile, ni malpoli, bien au contraire. Elle aurait pu croire que Juan l’avait envoyé pour l’escorter jusqu’à lui. Mais le terme “discussion” indiquait bien qu’ils n'iront nulle part, et que Juan ne viendrait pas. Méfiance mêlée à déception, Jordie avait du mal à ne pas paraître trop sèche envers le pauvre messager, l’infortuné, porteur de mauvaises nouvelles. Et elle savait pertinemment que, quelque soit le sujet de cette discussion, ça ne lui plaira pas.

-Une discussion? Est-ce qu’il va bien? Pourquoi n’est-il pas venu lui-même?

Je me demandais pourquoi il m’avait choisi. Pourquoi moi, un jeune lycan qui venait d’intégrer la meute seulement il y a qu’une petite année, devait annoncer une si grande décision à une personne si importante ? Je n’étais pas être le lycan le plus haut gradé et sans doute le mieux placé à mon sens pour être le messager du cœur de Juan, mais il avait apparement confiance en moi pour cette tâche si délicate.

J’étais un peu fébrile de rencontrer Madame Davis, LA leader vampire de Los Angeles. Une personnalité si puissante et une vampire si forte qu’elle pouvait me détruire sans que je ne puisse rien n’y faire. J’espérais que mon annonce n’allait pas la froisser au point de devoir en craindre pour ma vie.
Toutefois, je m’apercevais de l’attitude de Madame David. Elle était très courtoise, mais elle paraissait sur ses gardes.

« - Ne vous inquiétez pas Madame. Je suis venu de sa part. Il m’a demandé de venir à sa place. Mais il va très bien, ne vous inquiétez pas pour cela! »

Je n’avais pas réfléchis à comment annoncer la mauvaise nouvelle. J’étais un homme assez spontané. Cependant, je n’étais pas un insensible, surtout en ayant remarqué la déception dans les yeux de Madame Davis en me trouvant à la place de Juan. Je ne voulais pas être brutale, il me fallait trouver les mots.

« - C’est un endroit magnifique ici. Il m’a dit que c’était important pour lui que je vous parle dans cette jolie plaine. Et on a de la chance, il fait bon ce soir. On peut s’assoir sur les souches la bas si vous voulez ? Nous serons un peu mieux. C’est assez délicat ce que j’ai à vous dire. »

Il y avait deux souches d’arbres côtes à côtes coupés à ras à quelques mètres. Madame Davis avait certainement besoin de comprendre toute l’histoire, pas uniquement de la rupture. Je posais ma lampe de camping au sol et attendais que Madame Davis s’asseye en premier avant de m’installer.

La déception était visible dans les traits crispés de Jordie. Elle qui attendait cette soirée avec impatience, elle qui s’était laissée porter par le romantisme de la situation, pensant à tout ce que la symbolique de ces lieux pouvait signifier … Symbolique il y avait certes, mais la finalité ne  sera visiblement pas celle que Jordie attendait. Elle était loin d’être bête, elle avait une idée assez claire du sujet de la discussion que le jeune loup voulait avoir. L’immortelle n’avait aucune envie de l’entendre. Elle voulait juste retrouver Juan et qu’il le lui dise en face.
Lorsque Robin souligna le fait que Juan jugeait important que cette discussion se passe en ces lieux, Jordie lâcha un rire jaune, amer. Le sang froid devait se contrôler pour ne pas trop serrer les mâchoires et réguler cette colère qui grondait au fond d’elle. Malheureusement, les efforts du jeune lycan pour se montrer agréable et courtois semblaient vains.

-Je pense avoir une idée très claire de la situation … gronda-t-elle.

Jordie était venue pieds nus. Une autre référence à leur première rencontre, car lorsqu’elle avait dû rejoindre cette plaine la première fois, un conflit menaçait d’éclater entre leurs deux camps. Jordie était donc sorti du théâtre précipitamment et avait abandonné ses chaussures pour faciliter son ascension. Cette fois, cela l’aidera aussi, à évoluer sur le territoire des lycans pour retrouver Juan. Avant de se mettre en mouvement, elle planta son regard noir sur Robin.

-Et je préfère qu’il me le dise lui même.

Portée par la colère et la lâcheté de son amant, Jordie était bien déterminée à rejoindre le ranch pour trouver Juan. A l’heure actuelle peu importait si cela devait créer un incident diplomatique. Elle avait confiance en lui … Jordie se sentait blessée, et trahie. Elle comptait donc régler ses comptes en personne.

Les affaires délicates et peines de cœur n’étaient pas ma tasse de thé. Comme tout le monde en soit. Régler les différents des autres et se retrouver au milieu était sans doute la pire situation possible. Ici, la maîtresse leader se montrait bien déterminée à envoyer balader toute la délicatesse que je m’efforçais à lui donner pour tout régler au clair avec Juan.

« - Euh..! Attendez Madame Davis, je ne pense pas que vous…! »

Nul le temps d’en placer une, je fus pris de court par Madame Davis qui a une allure exceptionnelle s’éclipsa sous mes yeux pour rejoindre le ranch. À mon échelle lycan mais sous forme humain, je ne pouvais pas du tout suivre ! Hors de question d’envisager de me transformer pour aller plus vite. Moins j’étais sous forme de loup, mieux je me portais. Le ranch n’était pas très loin heureusement, je courra alors rejoindre la Juliette du Roméo disparu le plus vite possible. J’avais pris les raccourcis que je connaissais, avais dérapé une ou deux fois sur le chemin et m’étais pris quelques branches dans le visage en voulant couper au plus court le chemin. J’étais parvenu en toute petite dizaine de minutes au ranch. Madame Davis avait eu le temps de constater que ce dernier était vide de toutes les affaires de l’ancien Alpha. Devant le ranch, je ne vis personne, je m’approcha de la porte d’entrée pour m’introduire dans la bâtisse.

« - Madame Davis ? » essoufflé.  

J’entra dans le salon du ranch, il n’y avait plus les tableaux, plus aucune trace de Juan. J’y trouva toutefois la maîtresse vampire.

« - Comme vous le voyez, ce n’est pas seulement votre couple qu’il a abandonné. Il nous a tous laissé. Je suis sincèrement désolé que vous l’appreniez comme ça. »

Désolé, je l’étais vraiment pour la vampire. Elle avait été quittée d’une triste façon par son amant. Pas de mot, rien. Une des pires façons.

Jordie n’avait pas le droit de circuler ainsi sur le territoire des loups. Ça ne faisait pas partie des règles établies. Ces mêmes règles qu’elle s'évertue à faire respecter par les siens depuis de très nombreuses années, à l’heure actuelle n’avaient plus aucune valeur pour elle. Seul lui importait de retrouver Juan et de comprendre ce soudain changement, cette absence qui l’obligeait à faire appel à un tiers.

Elle entra dans le ranch brutalement, prête à surprendre l’alpha dans quelque activité plus importante que celle de venir lui dire en face ce qu’il avait sur le cœur. Mais les lieux étaient vides. Déserts. Si quelques odeurs ne restaient pas perceptibles pour ses sens aiguisés, on pourrait même croire que personne n’y avait jamais vécu. Pourtant, il n’y a pas si longtemps de ça, les deux leaders y avaient vécu leur première nuit. Sous ce porche, la flamme s’était allumée, et dans cette chambre elle avait brûlé si fort qu’aucun d’eux n’avait su l’étouffer, malgré les préjugés, malgré tout ce qu’une telle relation impliquerait.

Ce cœur mort qui ne battait que grâce au sang de ses victimes sembla pourtant en cet instant se briser face au triste constat de son départ. Juan avait finalement fait le choix d’étouffer cette flamme, ne demeurait plus qu’une épaisse fumée d’illusion pour l’immortelle. Comment avait-il pu?

Jordie ne réagit à peine lorsqu’elle entendit la porte s’ouvrir, reconnaissant l’odeur du jeune loup porteur de mauvaises nouvelles.

-Pourquoi? demanda t-elle avant même de se retourner face à lui. Quelle raison peut bien pousser un chef à abandonner son clan comme ça? A abandonner … moi?

La vampire se sentait encore en colère. Ca s’entendait d’ailleurs dans sa voix qu’elle tentait pourtant de maîtriser. Elle fit face à nouveau au constat de son absence, luttant contre les souvenirs de sa présence.

Mes pas soulevaient la poussière du plancher qui n’avait pas été foulé depuis un certain temps. Le ranch avait été mon premier refuge, là où l’alpha m’avait accueilli juste après m’être fait mordre. J’avais guéri ici ensuite et avait vécu ma première transformation dans la grange juste à côté. C’était pour moi un sentiment étrange de voir ce lieu vide, mais je voyais que ça l’était tout autant pour la leader vampire plongée dans un profond désarroi en découvrant le ranch inhabité. Je ne connaissais pas la personne qu’était Madame Davis, mais je la plaignais vraiment.

« - Vous n’y êtes pour rien. » lançais-je.

Je m’approcha lentement d’un pas et même d’un deuxième de la jeune femme. Restant prudent, car elle demeurait une vampire en colère qui pouvait me plaquer au mur ou me démolir en un rien de temps. Elle était en colère, cela se lisait sur son visage. Évidemment je la comprenais, mais je ne tenais pas à répondre de sa rage à la place de Juan.

« - Il… Il nous a annoncé qu’il était temps pour lui de s’en aller. Une nouvelle Alpha a pris le dessus sur lui et elle se veut plus exigeante que Juan. Sous l’autorité de Juan, beaucoup d’accidents se sont produits… En tant que lycan, je n’ai pas d’autre choix que d’accepter la nouvelle cheffe de meute. Mais, comme je vous ai dis, ça n’a rien à voir avec vous s’il est parti ! »

J’étais convaincu que ce n’était pas de la faute de Madame Davis s’il était parti. Même si j’ignorais tout de leur histoire, cela me semblait assez évident qu’elle n’y était pour rien, ses sentiments étaient si sincères ! Un aveugle aurait pu le voir.

« - Nous devrions sortir d’ici Madame Davis. Cela nous rappelle à chacun des souvenirs qui nous font mal. Il n’y a plus rien ici pour nous. »

Je l’invita à sortir en première et la suivrait. La nuit commençait doucement à se rafraîchir. L’aube allait bientôt prendre place.

« - Si je peux faire quoi que ce soit pour vous. Je le ferai… encore une fois je suis sincèrement désolé pour vous. »