Il est parfois difficile de se remémorer des premiers temps. En tant qu’une des toutes premières créations de Dieu, Râgu'él a traversé autant d’âges qu’il y en a. C’est une existence parfois vertigineuse mais l’avantage est qu’iel a toujours su quel était son but et sa raison d’être : servir le Créateur et veiller à ce que justice soit faite. Contrairement aux humains et autres mortels, iel ne s’empoisonne pas l’esprit à chercher toute sa vie ce pourquoi elle est faite, quel est son but et pourquoi les choses sont. Cependant, elle doit avouer que maintenant, iel peut parfois ressentir une sorte de nostalgie quand elle regarde en arrière et qu’iel décompte le temps qui est passé. Peut-être est-ce les années dans une enveloppe charnelle qui finissent par atteindre son âme, touchée par quelques gouttes de ce qui fait de l’humanité ce qu’elle est. Ou peut-être est-ce le temps qui finit par avoir un soupçon d’impact sur elle.

Il y eu d’abord la paix, iel et ses adelphes venaient d’être créés et découvraient leur Créateur. C’était un temps de joie et d’extase. Extase d’admirer ce qu’Il créait de nouveau chaque jour avec la Terre et son peuple, extase de ressentir la foi emplir son cœur et de ressentir à quel point il est bon de croire. Malheureusement cette paix ne dura pas. Samaê’el, un des adelphes de Râgu’él, se rebella contre le Tout puissant. D’autres le suivirent et la guerre éclata. Iel se souvient de la brisure dans son cœur, iel qui était si sûr·e que tout ne pouvait qu’être parfait puisque c’était le Créateur qui faisait tout. Peut-être s’agit-il de mettre à l’épreuve ce qu’Il crée, de laisser ces créations évoluées avec un libre-arbitre pour que leur foi soit sincère et pure. Râgu’él ressentit de la tristesse de voir ses adelphes ainsi se retourner contre Dieu et de devoir les affronter, mais aussi de la colère pour cet acte de trahison. Ainsi sa main ne trembla pas quand iel prit les armes pour les affronter, même si cela lui fit mal. Les souvenirs de cette guerre sont plus forts que les autres car ce fut la première fois qu’iel dut user de violence, de plus à une échelle aussi grande. Iel a vu certains et certaines de ses proches périr, malgré les années innombrables, la douleur, la tristesse et le regret sont toujours là. Parfois, la prière apaise ses maux…

Les affrontements suivants n’étaient pas plus faciles, mais il y eut une sorte d'accommodation. Râgu’el s’est toujours occupé de la justice autant parmi les mortels que les immortels et ses événements provoquèrent des situations où son jugement était nécessaire. Toujours avec parcimonie car le Tout-puissant ne voulait pas trop que son armée interviennent dans sa dernière création. Iel vu avec une certaine horreur des personnes créer avec blasphème de nouvelles espèces, que ce soit par accident ou non. Quand ce fut Lilith ou Baal, rien d’étonnant de la part de démons de se prendre pour Dieu, mais quand ce fut des humains, s’accouplant avec des démons ou en usant de magie… Iel fut si déçu que la création parfaite du Tout-puissant se croit ainsi tout permis. Pour les lycans, iel comprit qu’il s’agissait du désespoir d’une mère mais elle n’aurait même pas dû avoir ces pouvoirs en premier lieu. Que des humains s’accouplent de plein gré avec des démons, c’était d’une abomination innommable. Et que leurs rejetons cultivent la magie… Cela ne lui semblait pas correct, trop de puissance aux mains de créatures remplient de défauts et aisément corruptibles. Mais iel garda foi en son Créateur qui n’ordonna pas de les annihiler. Râgu’el observa donc toutes ces créatures évoluer, comme iel le craignait il y eut des soucis, comme le montra l’apparition de la magie de sang.

Cependant en 2012, l’archange agit avec les siennes et les siens pour repousser une vague particulièrement importante de démon à Los Angeles. Après leur devoir accompli, Râgu’él décida de rester sur place afin de garder un œil sur la situation. Iel sonda la ville en quête d’un réceptacle et trouva une personne, chez elle. Iel l’observa longuement, la personne ne bougeait pas dans son fauteuil roulant, fixant un point invisible, un pistolet dans les mains. L’archange apparut alors devant elle, tant au fond du trou qu’elle ne réagit à peine. Râgu’él lui demanda alors pourquoi souhaitait-elle en finir. La personne lui répondit alors que ce monde la désespérait.

”- Les gens triment tout ça pour à peine se payer de quoi survivre, le logement et la nourriture, qui devraient être des droits les plus fondamentaux, tout cela pour qu’une minorité s'engraisse de richesse jusqu’à ne plus savoir qu’en faire. La planète se dérègle, les catastrophes naturelles se multiplient, plongeant les pays les plus vulnérables dans des situations encore plus précaires, mais certains s’obstinent à partir en vacances en jet et en yacht, au nom de la liberté. Et après ce sont les écologiques que l’on traite de terroristes et d’extrémistes, comme celles et ceux qui décident de ne plus consommer ce qui vient d’un animal. Choix moqué en brandissant encore une fois cette fameuse liberté, en ignorant celle des animaux, élevés en batterie, inséminés de force, exécutés dans des conditions atroces après que certains n'aient même jamais vus la lumière du jour... Les politiciens n’ont quasiment plus aucune conviction si ce n’est s’enrichir et pour cela, ils poussent la classe moyenne à haïr la classe pauvre, à mettre toutes les misères de la société sur l’immigration et les fainéants qui profitent soi-disant du système. Une façon de penser validiste, où la valeur d’une personne ne se calcule qu’en fonction de son capitale, excluant ainsi celles et ceux que la société empêchent de travailler car elle ne s’adapte pas aux personnes handicapées. Engorgés dans un mensonge, beaucoup croient réellement que les riches sont riches car ils travaillent plus que les autres, méritent plus que les autres, quand cette richesse se construit principalement sur un héritage. Certains sont également rentiers et alors que certains et certaines meurent dans les rues, certains logements sont laissés vides pour faire grimper les prix. Dans le même genre de mensonge, on fait croire également que les noirs ont plus de chances d’être des criminels pour justifier les contrôles au faciès et même des meurtres, tout ça en oubliant bien volontairement les facteurs de misère, de pauvreté et bien évidemment celui d’un racisme très lourd qu’on essaye de faire croire disparu. Et des mensonges de ce genre il y en a encore plein, je pourrais aussi parler de l'hypocrisie de pointer du doigt les migrants, quand notre pays a été fondé par des migrants en cherchant à exterminer les Premières Nations. On croit avoir évolué mais certaines catégories de personnes sont encore oppressées comme avant, on les pointe du doigt parce qu’elles osent dénoncer ces oppressions, on leur reproche de dévoiler ce secret si confortable pour ceux à qui il profitent, parce qu’admettre être privilégié est trop difficile. On leur fait croire qu’ils et elles dénoncent des oppressions qui n’existent pas, venant de personnes qui sont incapables de se mettre dans la peau de l’autre. Parmi celles et ceux que je n’ai pas cité, les femmes que l’on traite d’hystériques et les personnes LGBT qui ne seraient en recherche que d’attention en allant trop loin, tout ça pour le plaisir de recevoir de la haine j’imagine, dans leur logique. Et sans vouloir vous offenser, les religions ont une place de choix quand il s’agit d’utiliser une excuse pour opprimer ce qui est différent de soi…”

La personne prit une pause après cette grande tirade. L’archange pouvait voir qu’il s’agissait de pensées qu’elle avait ressassé sans cesse dans sa tête, iel la regarda un long moment. Iel avait vu tout ce qu’elle dénonçait et c’est aussi ce qu’iel reprochait à l’humanité, mais de l’entendre de la part de l’une d’entre eux, c’était intéressant. Iel avait vu que les humains n’avaient pas toujours besoin de la corruption pour mal agir. Elle baissa le regard sur son arme qu’elle tourna légèrement entre ses mains,

“- Un des pires constats est qu’au sein même de tous ces problèmes, on se tire dans les pattes les uns et les autres. Il est difficile qu’autant de personnes arrivent à se mettre d’accord sur une même ligne, mais en même temps… Il est plus riche d’avoir plusieurs points de vue. Malheureusement ça n’est pas l’avis de tout le monde. J’essaye de lutter comme je peux, à mon échelle. On me dit que ça ne sert à rien, que l’on ne pourra rien changer, alors des personnes préfèrent ne rien faire, souffrir en silence au lieu de se rajouter une charge supplémentaire en essayant de se battre… Aujourd’hui, je suis de leur avis. Mais j’ai trop souffert et aujourd’hui, je veux simplement dormir en paix. Loin de cette souffrance, loin de ces problématiques complexes, loin de l’épuisement et du reproche constant pour ce que je suis.”

Elle commença à pointer le canon de l’arme vers elle quand Râgu’él stoppa son geste d’une main et posa l’autre sur son front. Une lumière blanche et pure en émana et Rachel ouvrit les yeux, maintenant dans le corps de cette personne. Elle ne pensa pas nécessaire de lui expliquer, elle lui avait donné la paix qu’elle souhaitait et elle se promettait de continuer tous ses combats, à son échelle comme elle. Quand elle se releva elle entendit un grognement, elle tourna la tête et aperçut 2 chiens. Ah… ça, ça n’était pas prévu.

Depuis, Rachel vit dans ce corps et elle prend soin de ses chiens, un amstaff et un fox terrier. En fouillant dans ses affaires, elle put constater que ce qui avait dû la pousser à vouloir en finir étaient plusieurs choses, en plus de ce poids militant : sa famille l’avait rejetée à cause de son orientation sexuelle et son handicape l’avait poussé dans un isolement extrême. Au fond, cela arrangeait les choses pour Râgu’él. Pour plus de sûreté, iel avait tout de même changé d’appartement et d’identité. Iel a tenu sa promesse et lutte en tant que militante pour les causes auxquelles elle croyait, en apportant des conseils juridiques à des associations, notamment une en particulier de féministes intersectionnelles, et en intervenant parfois au tribunal humain. Cependant elle n’a pas non plus oublié sa mission : surveiller les surnaturels et les humains en faisant régner la justice. Elle travaille donc maintenant principalement au tribunal pour surnaturel en tant que juge, cela lui permet de jauger cette population et de punir ceux et celles qui agissent mal. Pour elle, tous les surnaturels sont en sursis, leur existence étant comme leur nom l’indique, non-naturel. Mais actuellement, il serait difficile de les juger tous coupables de leur existence, Dieu n’a pas ordonné à son armée de les éradiquer à grande échelle et à guerre ouverte, même avec la création récente de la Cohorte. Alors comme il existe des chasseurs qui ciblent à leurs échelles, Rachel agit à sa manière. Iel se fait passer pour une esprit très vieille et cache son identité d’archange.

Cela fait maintenant 11 ans que Rachel a pris possession de ce corps et la vie humaine a tout de même quelque chose de… Particulier. Iel a toujours observé l’humanité mais se promener parmi eux et agir comme l’une d’entre eux est très différent. Elle a découvert les plaisirs de la culture humaine, même si elle en connaissait déjà beaucoup, mais ici iel a pu découvrir ce que c’est de partager cela avec d’autres êtres : en parler, en débattre, échanger des idées ou simplement regarder et écouter ensemble, voir les émotions sur leurs visages. Iel a également découvert le sport, avoir un corps mortel est parfois lourd et pesant, mais en prendre soin a quelque chose de plaisant. Notamment Rachel apprécie beaucoup la natation, elle trouve cela vivifiant. Les liens et les relations aussi sont somme toute agréables, cela rassure et fait du bien. Ils sont plein de défauts mais sont aussi capables d’altruisme et d’amour. S’il n’y avait aucun espoir pour eux, iel ne serait pas descendu sur Terre.