Mistress of the night - Jordie Davis

Notre petite Jordie est venue au monde à l’aube du dix septième siècle en Angleterre et c’est à peine âgée de dix ans qu’elle débarqua avec sa famille sur les terres d’Amérique du Nord, rejoignant la toute première colonie britannique. Désireux de fuir un contexte religieux qui n’était pas fidèle à leurs croyances, la famille Davis, comme tant d’autres s’établirent ainsi sur une terre qu’ils espéraient prospère. Comme dans tout peuple et toute civilisation qui se construit, il y eut des hauts et des bas mais dans l’ensemble, Jordie ne fut pas à plaindre et eut même une vie plutôt bien remplie. À l'âge de 20 ans elle était déjà mariée, un mariage de convenance plus qu’un mariage d’amour … Celui-ci ne viendra que bien plus tard dans notre histoire. Pour l’heure, c’est ainsi que ça fonctionnait et que cela devait être. Un mariage, une descendance … de quoi assurer la prospérité de leur colonie et de leur héritage. Et elle ne chercha pas plus, du moins pas avant d’avoir découvert l’existence du monde surnaturel.
Cette rencontre se fit un soir, alors qu’elle tardait à rejoindre son foyer. La nuit se montrant si douce après un rude hiver, l’occasion était trop parfaite pour ne pas en profiter. Elle fit donc un détour pour aller marcher le long de cette petite rivière qui bordait son village. La lune était pleine et offrait une belle visibilité, ses rayons scintillant sur l’eau calme. Depuis toujours, Jordie aime les moments de solitude, juste le temps de se retrouver face à elle-même, rien que pour elle. Mais cet instant ne dura pas longtemps cette fois-ci. Effectivement, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la pauvre femme se retrouva projetée dans l’eau et une bête immense se jeta sur elle, des griffes puissantes venant déchirer son aisne. Une telle attaque aurait dû marquer la fin de sa vie. Mais le destin fut plus clément avec elle. De quelle manière ? Elle ne s’en souvint pas. La douleur ayant eu raison d’elle avant même de voir par quel miracle elle s’était sortie de cette terrible attaque.
Lorsqu’elle reprit conscience, elle était alitée à la clinique de son village, un épais bandage enserrant ses hanches et son bassin. A peine avait-elle ouvert les yeux qu’on lui posa mille questions afin de savoir ce qui lui était arrivé et surtout ce qui l’avait attaqué. Jordie prétendit ne se souvenir de rien, que tout avait été trop flou, trop sombre … Mais au contraire, la nuit avait été si dégagée qu’elle avait clairement pu voir ce qui l’avait attaqué. Elle préféra juste le garder pour elle. Personne ne l’aurait cru, ou alors tout le monde aurait basculé dans une panique générale. Car ce qui l’avait attaqué n’était ni un loup, ni un ours. Ça ne ressemblait à rien de connu à cette époque. Et poser des mots pour décrire une telle créature était presque impossible. On crut d’abord que la pauvrette ne se remettrait jamais de ses blessures, elle en garda d’ailleurs une profonde marque, tant physique que mentale, mais finit par sortir de sa convalescence, sous les bons soins de la femme du médecin du village.
Si beaucoup de personnes seraient restées traumatisées par une telle expérience, la curiosité de Jordie était beaucoup trop forte et lui fit surmonter sa peur pour tenter de découvrir quelle était cette créature qui l’avait attaqué et comment y avait-elle échappé. Elle évita néanmoins pendant longtemps les sorties de nuit, mais ça ne l’empêcha pas de retourner au bord de la rivière, dans l’espoir de voir, de comprendre … mais en vain. Elle n’osait toujours pas parler de son expérience autour d’elle, par peur qu’on la prenne pour une folle, mais tâcha tout de même de voir si d’autres attaques du genre avaient déjà eu lieu. En vain.
Au bout de quelques années, ses espoirs d’y comprendre quelque chose avaient quasiment disparu, se convaincant presque elle-même que la peur avait dû déformer sa perception. Et puis son mari était parti, emporté par une épidémie qui avait ravagé son village, emportant également son unique enfant. Jordie était devenue lasse … Désormais livrée à elle-même, sans grand intérêt portée à sa vie. Elle était désormais trop vieille pour se remarier, et savait que la maladie finirait par avoir raison d’elle aussi, un jour ou l’autre.
On venait de célébrer l’année 1628, lorsque sa vie prit un sens plus favorable. Il faisait nuit et la veuve Davis, un peu trop avinée, s’égara aux abords de la rivière. Il faisait froid cette nuit-là, mais la chaleur de l’ivresse trompait ses sens. C’est pour cela qu’elle ne réagit pas plus que ça lorsqu’elle vit un peu plus loin une jeune femme, les pieds dans l’eau et la robe retroussée au dessus de fins mollets blancs. Ce n’est que lorsque cette dernière s’approcha d’elle qu’elle réalisa qu’elle n’était pas en train de rêver, et reconnut d’ailleurs Charlotte, la femme du médecin qui avait pris soin d’elle après son agression. Elle ne semblait pas non plus souffrir du froid et portait un large sourire bienveillant, le même qu’à la clinique, protecteur et rassurant. Le temps n’avait visiblement pas de prise sur elle, comme si les années l’avaient épargné de toutes les marques de vieillesse que prennent normalement les femmes.

Tu aimes vivre dangereusement, lui dit-elle avec un léger sourire malicieux.

Elle faisait inévitablement référence à son agression, mais d’une manière si légère que cela interpella directement Jordie.
C’est ainsi que notre protagoniste découvrit l’existence du surnaturel. Charlotte, était celle qui, cette nuit-là, l’avait sauvé des crocs affamés d’un lycanthrope, un humain qui a la capacité de se transformer en bête féroce, selon ses dires. Autant dire qu’au début, elle n’y croyait pas une seule seconde, suspectant l’infirmière d’être aussi saoûle qu’elle. Et puis elle avait du mal à croire qu’une femme, à la même carrure qu’elle, ait pu faire fuire un monstre pareil. C’est là qu’elle lui apprit également l’existence des vampires, autres créatures de la nuit dont Charlotte et son mari, Vince, faisaient partis. Incapables de sortir à la lumière du soleil, cela expliquait pourquoi on ne voyait jamais le couple hors de chez eux en journée.
Il fallut plusieurs jours avant que Jordie puisse croire réellement tout ce qu’on lui racontait. Mais ayant été toujours ouverte d’esprit, force a été de reconnaître que le surnaturel était bel et bien présent sur terre. Au fil du temps elle devint très proche du couple qui lui apprirent tout ce qu’il y avait à savoir, notamment l’importance de garder le secret sur leur existence et la rivalité ancestrale entre Vampire et Lycanthrope. Ils devinrent sa nouvelle famille, le nouveau mariage qu’elle n’espérait même pas. Ils étaient devenus si proches qu’elle finit naturellement par devenir un vampire à son tour. Elle venait d’avoir trente quatre ans.
Le temps n’ayant aucune prise sur aucun d’entre eux, ils allaient de village en village tous les trente ans, pour n’éveiller aucun soupçon quant à leur nature. Filant ainsi à travers le temps et l’Histoire, ils suivirent l'essor et l’indépendance des Etats Unis d’Amérique.

Malheureusement, leur trio finit par devenir un duo. Une nuit d’Automne, il y eut un terrible affrontement qui les opposa à un groupe de Lycanthropes. Et Charlotte le paya de sa vie. Ce fut une terrible épreuve, autant pour Vince que pour Jordie. Et si les deux survivants nourrissent un Amour intemporel depuis leur rencontre, rien ne serait plus jamais pareil sans Charlotte.
Se promettant loyauté et amour, ils finirent par suivre chacun leur propre route. Le destin les remet de temps en temps l’un face à l’autre, et les échanges épistolaires restent plus ou moins réguliers, car rien ne saurait détruire l’affection qu’ils ont l’un pour l’autre. Un Amour qui dure des siècles va bien au-delà des attentes et des affections humaines.

La Ruée vers l’Or amena Jordie dans la toute nouvelle ville de Los Angeles. C’était en 1850. Rapidement, elle se rapproche des vampires déjà en place et du leader en place. Impliquée depuis toujours et dévouée à la cause des Sangs froid, Jordie obtint rapidement une place influente dans cette organisation nocturne.
Soutenue par ses pairs, elle dirigea les premiers cabarets de la ville, lieux où les noctambules venaient se réunir … C’était une place idéale pour avoir un œil sur ce qu’il se passait en ville. Et plus Los Angeles gagnait en essor, et plus Jordie développait son réseau. Bar, boîte de nuit … Elle eut rapidement la main mise sur la Nuit.
Voilà pourquoi, il y a presque cent cinquante ans aujourd'hui, le Leader des Vampires, las d’une trop longue vie, lui passa naturellement le flambeau et l’adouba en tant que digne successeur. Jordie est un chef intransigeant, veillant avec soin et autorité à maintenir le secret dans lequel les siens évoluent. Elle tolère également très mal que Vampires et Lycanthropes puissent s’entendre et coexister dans la paix.